L’épopée de Lars & Aatos

Chapitre 35

18 juin 2142

Le groupe se réveilla groggy. Un matin pluvieux et brumeux avait pris la place de la nuit fraiche. Wali avait à peine dormi, ses quintes de toux l’avaient empêché de fermer l’œil. Lars, en plus d’être épuisé par l’utilisation des gemmes de musique, musicale, et de bactérie, bacterium, avait eu un sommeil agité. La découverte de la veille l’avait tendu et excité à un point que le sommeil n’était jamais venu à sa rencontre. Enfin, Aatos n’arrivait pas à calmer sa colère. Il énumérait dans sa tête tous les plans de vengeance possibles. Lars doit comprendre la douleur de Wali. Il se trompe, je n’ai pas besoin de grandir, c’est lui qui est dingue … Il a plus besoin de moi que moi j’ai besoin de lui, de toute manière.

Les trois comparses avaient dormi à la belle étoile à quelques kilomètres de El Rugido, en direction de Terminus. À l’instar des sélénites, ils évoluaient dans un environnement cendré, poussiéreux et terne de toute vie. La pente, parfois abrupte, qui menait à la forêt avant le village de Terminus se présentait devant eux sur des kilomètres dans sa robe grise : le cendrier d’El-Rugido. Çà et là, d’énormes rochers – restes de bombes calcinées – s’appuyaient sur le dévers, face au paysage campanien.

— En comptant la traversée de la forêt, nous sommes, avec un bon rythme, à environ trois jours de marche de Terminus … Rrrrrrr ptou …

Le crachat noir de Lars se mêla à la poussière du sol. Une couche de suie poisseuse recouvrait leur peau, des poussières piégées dans leurs cheveux et par leurs poils. Aatos avait le nez bouché et Wali sifflait du fond de la gorge. À cela s’ajoutèrent les égratignures et leurs pieds ampoulés. La mauvaise nuit avait été de trop pour Aatos, Lars et Wali. Le cœur n’y était plus, l’aventure n’était plus palpitante sous la fine pluie.

Le groupe marchait dans un silence morose. En contournant le volcan, Aatos se repassait les événements de la veille ; la réaction de son oncle. Lars est dingue … Oui, voilà. Il déteste Wali et voulait le tuer… Un dingue. Et si je me séparais de lui ? Là, je laisse seule et je prends la route avec Wali. J’apprendrai en chemin. Après tout, s’il veut revoir Liv, il a plus besoin de moi que moi j’ai besoin de lui de toute manière. Wali toussait par quintes régulières. Pour Aatos, chacun des bruits, des grognements et des crachotements de l’animal était comme des rappels de l’avidité de Lars pour les gemmes.

Après plusieurs heures de marches, le soleil avait daigné apparaître derrière une épaisse couche de nuages gris. Les trois compagnons s’étaient assis, alignés sur une sorte de muret naturel en pierre volcanique. Silencieux, ils mangeaient des Sphero. La Campanie comme horizon. Chacun avalait sa part de nourriture et de vue. Majestueuse. Ils étaient enfin sortis du cirque naturel – ce trou – après neuf jours de marches. Une forêt dense partait du pied du volcan quelques milliers de mètres en contrebas. Depuis leur emplacement, ils pouvaient deviner la bourgade de Terminus. L’oncle observait avec insistance le village.

— Je suis étonné que ces culs-terreux aient réussi à développer ce hameau. Et là, on dirait une voie ferrée. Tu vois Aatos ?

Le serpent de fer balafrait les champs en se perdant dans le paysage. L’agriculture aux abords du volcan El Rugido était florissante au vu des étendues cultivées.

— Avec nos gemmes de plume, pluma, nous serons arrivés dans cette forêt avant la tombée de la nuit.

Lars s’était levé du muret pour mieux estimer la distance. Aatos ne répondit rien. Un silence flottait. Ils terminèrent leur repas. L’oncle se leva.

— Si c’est ce que je pense, nous avons de la chance. Venez, ça devrait vous plaire, dit-il, insistant, une étincelle de motivation dans l’œil.

Aatos se leva avec nonchalance. Il suivit son oncle, Wali sur l’épaule. Après quelques pas, Aatos distinguait une structure orangée sous la poussière. Une masse imposante qui n’avait rien de naturel.

— Parfait, c’est ce que je pensais !

Lars monta sur l’aile pour débarrasser la poussière. C’était les restes d’un avion de tourisme. Arrivé à la hauteur de l’engin, Aatos vit deux squelettes aux commandes du biplan. Une aile était arrachée et la queue de l’engin manquait.

— Ne touche pas ! Ça ne se fait pas, éructa l’oncle à son neveu.

Aatos caressait le crâne du défunt pilote, intrigué par cette morbidité figée dans un instant de panique. Il n’écoutait pas son oncle. Et, de toute façon, les squelettes l’attiraient trop. Fasciné par la structure osseuse de l’humain, il faisait courir ses doigts sur les côtes, la clavicule et l’humérus gauches. Absorbé par l’observation, le jeune homme n’avait pas entendu son oncle arriver vers lui.  Lorsqu’il sentit les doigts de Lars s’enfoncer dans son bras, il sursauta de surprise.

— Lâche-moi ! Lâche-moi ! s’écriait Aatos dans une scène terrible.

— Stop ! cria son oncle encore plus fort.

Aatos s’arrêta net. Les yeux de son oncle étaient injectés de sang, il ne rigolait pas.

— Tu as le droit de m’en vouloir, d’être énervé et en colère contre moi. Mais cela ne remet pas en question mon autorité B***** ! Et, surtout, la responsabilité que j’ai envers toi. Alors si je te dis de ne pas toucher ces ossements, tu ne le fais pas, P*****. Est-ce que c’est compris ?

Lars n’attendait pas de réponse. Le garçon fit tout de même un hochement de tête, il avait compris.

— Parfait, alors maintenant, tu restes tranquille pendant que je vais prendre ce qui nous intéresse ici, conclut l’oncle.

Aatos pleurait de façon discrète derrière l’aile cassée du petit avion à moteur, l’émotion, la fatigue et maintenant cette remise à l’ordre le submergeaient. Ses larmes expulsaient le trop-plein accumulé. Cela lui faisait du bien. Il est fou ! Je vais le lâcher en route, là maintenant et il va comprendre. Je laisse seule et je prends la route avec Wali… Il put enfin se calmer.

— Ha, Ha ! fit l’oncle satisfait.

Il avait trouvé deux paires de skis et un traîneau de secours. L’avion appartenait donc à deux touristes intrépides. Les documents dans les bagages l’attestaient.

— Pffff, voler aussi proche d’un volcan avec un avion … À cause de vous, l’expédition Néo-creatura aurait pu capoter … Bande d’incompétents … Vous aviez quoi en tête, hein ?

Lars s’adressait aux squelettes qui restèrent … sans voix.

— Tu connaissais l’emplacement de l’avion ?

— Oui, je l’ai vu à l’allée, comme décris dans les carnets de bords de ta maman. L’avion s’est écrasé, mais l’équipe scientifique a pu heureusement sauter en parachute avant l’accident. Il n’y en avait pas pour tous. Les deux pilotes se sont sacrifiés après avoir commis leur erreur. C’est la vie …

Mais comment peut-il être aussi détaché ? Les deux paires de skis à la main, l’oncle s’écarta de la dépouille de l’avion. Il revint pour prendre une sorte de traineau et des cordes. Lorsque Aatos rejoignit son oncle, celui-ci testait déjà les chaussures de ski. En regardant la pente de cendre, il comprit ce que son oncle avait en tête.

— Tu… Tu veux utiliser ça pour descendre ? demanda Aatos, plus pour communiquer son anxiété que pour obtenir une réponse qu’il connaissait déjà.

— Toi et Wali aussi. Les conditions sont parfaites ! Nous serons en fin de journée dans la forêt aux abords de Terminus. Nous avons beaucoup de chance aujourd’hui, dit-il, reconnaissant.

Lorsque Lars entendit les deux déclics qui signifiaient qu’il était bien attaché à ses skis. Il descendit sur vingt mètres.

— Wouha, encore mieux que ce que j’avais imaginé ! cria-t-il à son neveu.

Il décrocha et remonta la pente, un ski dans chaque main, en direction de son neveu. Aatos, entre-temps, essaya d’imiter son oncle en enfilant l’autre paire de chaussures de ski.

— Pas facile, hein dit ? Attends, je vais t’aider.

Lars s’agenouilla pour aider son neveu. Après la brusquerie de son oncle quelques minutes plus tôt, Aatos fut surpris par sa douceur et sa patience tandis qu’il lui expliquait comment se servir de son matériel. Wali fut installé sur le traîneau que Lars s’était harnaché autour de la taille.

— Prends appui sur ta jambe qui regarde la pente.

Les trois comparses ainsi parés longèrent la pente volcanique. C’est … C’est pas du tout stable ce truc … Ils parcoururent ainsi une centaine de mètres. Lars s’était arrêté. Aatos fit de même.

— Bon, l’endroit est idéal pour débuter la descente ! L’exercice inattendu du jour est difficile, je sais, débuta l’oncle. Mais, ce n’est rien au regard de nos dernières confrontations ! cria-t-il sans se retourner, en guise d’encouragements.

Il s’était élancé sans donner d’autres instructions à son neveu. Lars dévalait la pente avec une aisance indigne de son âge. De grands virages à gauche, puis à droite. Une petite dune le fit s’envoler quelques instants sur plusieurs mètres. Les traînées laissées dans les cendres de la pente formaient un zigzag régulier. Wali s’agita d’un coup dans le traîneau que l’oncle tractait.

—whouuuuuuuuuaaaaaaaa, Aatos fonçait tout droit et rattrapait Lars.

On aurait dit une fusée qui ne décollerait jamais. L’oncle s’arrêta net, de façon propre, en un coup de reins sec. Lars rigola de façon franche et nerveuse dans un premier temps. La scène était improbable : son neveu écorchait ses cordes vocales, en donnant l’impression de voler sur une pente faite de poussière de magma. Puis il s’essaya à des instructions d’urgence.

— Ralentis ! Touuuurne ! lança-t-il, pas convaincu d’avoir un effet bénéfique sur …

… Aatos se prit une dune de plein fouet et décolla. Les deux skis en l’air, la tête en bas.

— Haaaaaaaaaaaaaaaaaa, s’écorcha-t-il les cordes vocales.

L’oncle était trop loin. L’enfant toucha le sol sur le haut du dos. Il se mit à rouler. Ses skis s’étaient à présent détachés. Il roulait toujours lorsque sa chute fut ralentie, jusqu’à l’arrêt complet.

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