L’épopée de Lars & Aatos

Chapitre 36

18 juin 2142

— Aatos ! Aatos ! B***** ! Tu nous as fait quoi ?

Lars tenait Aatos au creux de son bras.

— Haaaa… haha… Hahaha… hahahaha, Aatos était pris d’un fou rire inattendu, inarrêtable.

— Quoi, qu’est-ce qu’il y a ? demanda l’oncle, impatient.

Son neveu n’arrivait pas à se reprendre. Ses habits étaient remplis de cendres et son visage noir. Il était tombé sur une fine accumulation de cendre. La couche était si épaisse que Aatos n’avait aucune séquelle de cette folle chute. Il était juste secoué. Lorsque Lars eut fini de s’assurer que son neveu était bel et bien sain et sauf, il soupira.

— Plus jamais ça ! … Tu as encore des progrès à faire, sermonna-t-il en serrant les dents.

L’oncle relâcha Aatos et se mit debout. Tout en époussetant son pantalon, il toisa son neveu. Sa peur avait pris le dessus. Aatos arrêta de rire et prit la parole :

— Tu m’as laissé me débrouiller … Kof kof … seul ! Tu pensais que je ferais quoi, hein !? Tu mets tout le monde en danger, hier … Kof kof …  Wali, aujourd’hui moi.

La rancœur d’Aatos était profonde, il laissa sortir son fiel.

— Monsieur le génie incompris … Tu es une blague ! Tu es méchant, malsain, mauvais ! cria-t-il plus fort.

L’oncle remit ses skis.

— Nous nous retrouvons dans la forêt quand tu te seras calmé, dit-il.

— Non ! Je vais continuer tout seul, c’est toi qui as besoin de moi pour revoir Liv, moi je n’ai pas besoin de toi !

Wali sauta du traîneau et monta sur l’épaule de Aatos, signifiant ainsi son soutien à son ami.

— Oh, P*****, allez-vous faire F*****, dit l’oncle en se retournant.

Il donna un coup de bâton pour dévaler le reste de la pente. Aatos respirait fort, il se retenait de crier. Aatos embrassa Wali. Toi tu me comprends au moins …

— Oui, c’est ça ! Nous continuons sans lui, dit Aatos à Wali, plein de rage et d’entrain.

Ils restèrent près d’une heure dans les bras l’un de l’autre, au milieu des cendres volcaniques. Ensuite, il essuya les cendres et la boue séchée de ses habits. Puis, il toucha au passage une écorchure sur sa jambe qui lui fit serrer les dents ; seule blessure à relater de cette impressionnante chute. Le soleil entamait sa descente. L’atmosphère était tiède. Ils avaient une vue magnifique sur la forêt, Terminus et la plaine. Ce soir, nous dormirons seuls ! s’encouragea le garçon en entamant sa marche sans prendre les skis.

Aatos donnait de petites impulsions de gemme de plume, pluma, pour se déplacer. Les propulsions rapides donnaient l’impression que la gravité n’avait pas d’emprise sur lui, à la manière d’un astronaute sur la surface de la lune. Le soleil avait tourné orange. Tout était calme. Il ne restait plus qu’une petite heure au jeune homme et à son compagnon pour parvenir à l’orée de la forêt. La poussière envahissait la marche et l’esprit du garçon.

D’un côté, il voulait renoncer à récolter toutes les gemmes. Car cela signifiait être sous les ordres de son oncle et suivre à la lettre ses conseils. Ces mêmes conseils qui venaient d’une personne aussi mauvaise le dérangeaient. De l’autre côté, s’il renonçait, c’était l’assurance de ne jamais revoir ses parents. Accumuler les gemmes lui plaisait. Il dut s’avouer prendre du plaisir à maîtriser de nouvelles compétences. Mais Aatos ne possédait pas l’excitation liée à leur chasse, comme Lars. Puisque cette quête lui demandait de chasser plus d’une centaine de gemmes, l’aventure perdait en intérêt. De plus, à chaque épreuve, à chaque confrontation et à chaque nouvel obstacle, il se sentait en terrain glissant, toujours envahi par cette sensation désagréable de ne rien maîtriser. À aucun moment Aatos ne pouvait lâcher prise et se reposer. Tout ça pour retrouver des parents dont il n’avait aucun souvenir. Et c’était bien le point principal qui le dérangeait. Et si Lars avait tout inventé ? Il en serait capable …

Depuis sa renaissance, on lui avait assigné une tâche titanesque qui lui semblait être la responsabilité d’un autre. Un syndrome d’imposteur permanent recouvrait sa personnalité dans son entier. Il ne se sentait pas à la hauteur et contraint de réussir. Pourtant, Aatos revenait toujours sur les paroles de son oncle : Tu es le seul a avoir la capacité de récolter toutes les gemmes. Il voulait bien croire qu’il serait un jour capable d’être à la hauteur. Aatos pouvait aussi croire que cette assertion se basait sur son potentiel et non sur ces capacités réelles actuelles. Mais à quoi bon ? Je n’ai aucune garantie que mes parents sont dans la DEM … Et choisis par qui et comment pour avoir la capacité de récolter toutes ses gemmes ? Pourquoi m’avoir marqué du sceau du devoir ? Les questionnements tournaient ainsi dans son esprit. La réponse évasive de Lars ne l’avait pas aidé. Ce n’est pas important qui a choisi, c’est ce que tu en feras qui l’est. Son esprit embrumé par des interrogations et de la rancœur envers son oncle, Aatos ne parvenait pas à trouver le fil pour démêler cette grande pelote.

Ils arrivaient à présent aux abords de la forêt. Le sol était plat, la couche de cendre s’amincissait à mesure qu’ils avançaient. Aucune trace de Lars dans les parages. Le soleil sombrait maintenant derrière le volcan et la température baissait. Son compagnon qui le suivait une dizaine de mètres plus loin. Je dois nous trouver un abri pour passer la nuit …

— Wali, vient, nous allons ici !

Aatos montrait un début de clairière qu’il avait repéré en descendant. En arrivant proche, après avoir traversé une forêt dense, de petits arbres cachaient une clairière d’herbes grasses. Le lieu était cerné de ronces. Après quelques mètres de plus, ils trouvèrent une ouverture à travers l’épaisse couche qui menait à la clairière. Ils passèrent sans s’apercevoir que cette partie sans ronce n’était pas naturelle. Des traces de découpe subsistaient.

— Nous passerons la nuit ici, déclara le jeune homme à Wali.

Le lieu paraissait idéal à Aatos. En une demi-heure, ils firent un feu, récoltèrent du bois mort en suffisance et construisirent une cabane rudimentaire à base de branchages de jeunes foyards. Aatos était satisfait de ce qu’ils avaient construit en si peu de temps. C’est la preuve que je n’ai pas besoin de Lars … Après tout, je suis celui qui peut réunir toutes les gemmes. Lars n’est pas grand-chose. Tout au plus une sorte de guide qui lui avait transmis quelques savoirs. C’est moi, Aatos, qui possède tout le potentiel et non l’inverse. Après avoir mangé quelques fruits, une Sphero au goût faisandé et bu les restes d’eau qu’ils possédaient.

À la lueur du feu, Aatos confectionna un filet avec les cordages de l’escalade. Peut-être que j’attraperai un animal durant la nuit. Ce serait parfait pour demain matin. Cela m’éviterait de partir le ventre vide pour Terminus… Perdu dans ses pensées, il ne réalisa pas qu’il était doué pour la confection des filets. Aatos se leva après avoir terminé la confection du piège. Il prit Wali sur son épaule. Les deux compagnons se dirigèrent quelque dix mètres plus loin, à l’entrée du couloir de ronce.

— Si un animal passe ici, j’aurai au moins de quoi manger demain.

Alors qu’il installait le filet dans les arbres en dessus de l’entrée de la clairière, Aatos eut un flash.

Le Léman… Cette odeur de poissons… Un homme en ciré sur une petite embarcation… Son visage …

Des filets…

— Aatos, tu as terminé avec les filets ?

Cette voix … Qui est-ce ?

— Aatos ! P**** de M*****, tu donnes ce filet à ton père ?

À mon père ?

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