L’épopée de Lars & Aatos

Chapitre 28

15 juin 2142

— C’est … C’est quoi ce truc ?

Les jambes de Aatos flageolaient. Il regardait son oncle en attente d’un geste, d’une réponse ; d’une solution.

— P*****, mais j’en sais f***** rien. M*****, ça à l’air coriace comme bestiole …

Lars, Aatos, Wali et les rapaces avaient en face d’eux une entité de souffles, de courants et de nuages chargés. Tout ce qu’ils avaient pour se défendre se résumait à quelques gemmes, une surface de dix mètres carrés et leur instinct de survie.

— Hooooooaaaaoooooooo — Vooooooouuuuus êtes Mooooooooorrrts — LES HUMAINS !

— Il se prépare à attaquer à nouveau ! cria Aatos, terrorisé par la voix de cette créature qui soufflait ses maux.

Les vautours criaient. Ils pouvaient voler à quelques mètres au-dessus du sommet à présent. Lars devint rouge.

— Je croyais qu’il était impossible de voler, s’écria l’oncle, furieux.

Il réalisa aussitôt que les vautours étaient eux-mêmes surpris d’avoir pu réaliser cela. Lorsqu’ils retombèrent de façon lourde sur la stalagmite, Lars se tourna vers son neveu. La créature grondait dans son dos. Ils avaient encore quelques secondes.

— On dirait qu’il ne peut pas contrôler les éléments de notre cage de vent durant un court laps de temps. C’est comme s’il ouvrait la porte de la prison durant quelques secondes. Nous devons comprendre quand …

Soudain, la créature réduisit son activité. Elle s’approcha d’eux avec lenteur. Son amplitude réduisait en avançant. Une fois à quelques mètres du groupe, elle se mit à tournoyer autour du sommet de la stalagmite. Cette démonstration dura une longue minute durant laquelle personne n’osa dire un mot. Une chape d’anxiété s’était abattue sur le groupe. Alors, les vents qui constituaient l’entité prirent une allure plus rapide. Ils tourbillonnaient maintenant à une vitesse effrénée et se resserraient autour du sommet de la stalagmite. Plusieurs types de vents se battaient pour exister au sein de l’entité.

— Il va nous avaler !

Wali grognait.

— Attends…

Les vautours battaient des ailes avec agressivité. Ils ne pouvaient rien faire. Lars semblait avoir mis le doigt sur quelque chose. Le bruit du vent et les vautours couvraient la voix de l’oncle.

— Quoooi ?

Lars se mit à côté de son neveu.

— Je disais, attends, regarde, différents courants constituent ce truc.

La première couche était faite de vents très humides : Levant, Sirocco, Auster et Gharbi s’entrelaçaient pour former une barrière chargée d’eau. Aatos remarqua d’ailleurs des gouttelettes qui perlaient sur ses habits. C’était la preuve et la conséquence de la présence de ces trois vents. L’oncle quant à lui, détecta ensuite une deuxième couche, plus profonde, de vents chargés de sable : Chergui, Khamsin et Loo s’étaient réunis pour former une protection solide pour l’entité. Enfin, le cœur de l’entité était fait de vents glaciaux : pampero, squamish, barber et bise formaient un cœur de glace autour d’une antichambre de blizzard.

— Trois couches, trois températures, trois textures de vents différents, criait Lars.

Le bruit des courants s’alourdit. Lars étudiait l’entité alors que celle-ci s’était encore approchée. Ce qui était étrange, c’était cette sensation de se retrouver au cœur d’une tornade – au centre de l’œil d’un cyclone – sans ressentir le moindre effet sur le corps. Ils n’étaient pas aspirés ni repoussés. La cage semblait les protéger.

— L’entité ne veut pas nous souffler, elle nous observe pour le moment.

— Quoooi ?

Alors que l’oncle continuait sa réflexion sans répondre à Aatos, l’entité disparut en quelques secondes. Le ciel redevint bleu. Ils étaient toujours condamnés à rester accrochés à la pointe de la stalagmite : leur prison invisible était toujours présente.

— C’eeeest Partiiii — Jooouuuuuoooons —

La voix retentit alors que le ciel se chargeait de nouveaux nuages au-dessus de leurs têtes. De petites tornades de quelques centimètres commencèrent à se dérouler en direction du doigt. L’entité de vent revenait à l’attaque.

— Esquivez, B***** !

Des tornades de la taille de Aatos défilaient à quelques centimètres de son visage. Wali déviait certains courants avec sa carapace ; il avait formé une paroi de deux mètres qu’ils orientaient pour dévier les courants. Quan et Rocky utilisaient le phénomène de portance intermittent pour se déplacer avec maladresse : au passage de chacune de ces tornades, une dépression se formait au sein de la cage de vent.

— Il y a une faille, après chaque tornade ! tonna l’oncle.

Les rapaces confirmèrent l’observation de l’oncle à la tornade suivante ; ils volèrent sans peine à quelques mètres et revinrent sans encombre.

— Bien, j’ai besoin d’information sur l’entité, ajouta Lars en mimant avec les bras sa volonté. Il faut la traverser et me rapporter les sensations et les courants que vous percevrez, dit l’oncle en pointant du doigt l’amas de vent sur fond gris.

L’entité flottait au-dessus d’eux à présent et semblait s’amuser de voir le groupe esquiver chacune des tornades générées.

— Ha ha ha ah ah ah aah aH AH

La créature avec reprit les contours d’un humain de dix mètres de haut. Il flottait dans les airs, en face du groupe.

— Traversez ici, ordonna l’oncle, prudent en montrant une partie qui lui semblait être la jambe de la créature de vent.

Une nouvelle tornade passa et les deux oiseaux s’envolèrent vers leurs cibles. Ils traversèrent l’entité.

— Quuooooiiiiii — Vous oooooosez fuir ma caaaaaage !?

Lorsqu’ils revinrent, Rocky avait des marques de brulures sur l’aile gauche ; des plumes calcinées à leurs pointes.

— Ce truc maîtrise aussi les éléments électriques dont l’air est chargé, c’est que je craignais.

— Euh … On dirait qu’il n’est pas content …

La créature de vent arrêta d’envoyer des tornades. Elle semblait se recentrer et préparer une nouvelle salve. De l’extérieur, on aurait dit que ses courants internes s’intensifiaient.

— Attention ! s’écria Lars.

Des torrents de vents s’écrasèrent sur les versants de la concrétion alors que le groupe subissait un foehn concentré terrible venant du haut. Au même moment, Wali protégeait ses compagnons des salves venant de l’est ; des pics de vents mortels. L’entité avait décidé d’accélérer la fin de l’affrontement. L’échappée des rapaces lui avait déplu ; elle avait perdu le plaisir du contrôle : le même que les enfants possèdent lorsqu’ils emprisonnent leurs premiers insectes.

— Nous attaquerons ce monstre en duo ! ordonna Lars à son neveu. Prépare-toi à utiliser la gemme de pierre, rocca, et …

Une tornade passa entre eux et coupa la conversation. Des vents s’engouffrèrent à la suite de la petite tornade. Ils ne pouvaient plus communiquer. Mais Aatos compris, aux yeux de son oncle, qu’il était prêt à agir.

Il se tint prêt.

Tu peux compter sur moi …

Un gigantesque éclair frappa l’entité. Aatos vit disparaître une partie de la première couche du monstre de vent. Celle-ci commençait déjà à se réformer lorsqu’une gigantesque flamme fit exploser le ventre de l’entité.

— Maintenant ! cria l’oncle en s’agitant.

Aatos n’entendait rien. Lars saisit un caillou et l’envoya en cloche en direction de son neveu, par-dessus la barrière de vent. Message compris. Il se retourna vers l’entité et se concentra. Je dois me montrer capable. Wali, Lars, Quan, Rocky, ils comptent tous sur moi. Une lueur grise s’échappa de son bracelet de vie. Aatos avait activé Rocca. Il joignit ses mains en direction de l’entité. Sa concentration augmenta encore. Je peux le faire. De la chaleur se dégagea des paumes de ces mains. L’énergie minérale de la Rocca coulait dans les veines de Aatos. Il lança un rayon au faisceau gris clair au niveau du ventre, là où son oncle venait de frapper. La deuxième couche de vent se figea au sein de l’entité. En un instant, de massives trombes de sable jaillirent de ce corps en suspension dans l’air. De l’extérieur, on aurait dit un éventré aux organes désorganisés – ils avaient trouvé une faille et l’exploitaient. Le courant entre les deux hommes diminua. Les tornades cessèrent. La cage invisible s’ouvrit.

— Fais attention à sa réaction, cria l’oncle.

Aatos n’avait pas remarqué que l’entité réagissait. La dernière couche, le cœur, convergeait vers la tête. Si bien, qu’une sorte de seconde petite entité naquit du crâne de la première. Elle était constituée des vents internes de son ancienne enveloppe. Sa taille ne dépassait pas les deux mètres. Une grand-voile de brume l’entourait : des restes de la première couche. Lars, Aatos et Wali demeurèrent figés sur le sommet. Les vautours en profitèrent pour s’élancer sur l’entité.

— Noooon ! s’écria Lars à s’en rompre les cordes vocales.

À peine son cri se perdit dans les échos que Quan se figea en plein vol. Gelé. Il sombra et s’écrasa au pied d’une concrétion. Rocky voulut revenir, mais l’entité le glaça en un coup de vent, lui aussi.

— P*****, B***** de M*****

Les veines du visage et du cou de l’oncle s’engorgèrent de sang. Une colère montait en lui. Et elle était à présent perceptible. Wali bleuait puissamment. Tu vas le payer.

Une mitraille de glace s’abattit sur les trois compagnons. Wali utilisa sa carapace à la manière d’un trampoline vertical et les projectiles furent renvoyés à l’entité. Mais celle-ci les balaya d’un simple coup de vent.

 Sa métamorphose la rendue plus fort.

Aatos était découragé. L’utilisation de Rocca l’avait épuisé. Lars reprit son travail d’observation. Sous la contrainte du danger, il proposa une nouvelle approche.

— Aatos, prépare-toi à t’accrocher derrière la tête de la stalagmite, ici, désigna l’oncle du doigt de façon discrète. À mon signal, tu te suspends et tu attends. Tu feras de même, termina-t-il en montrant à Wali son intention.

L’entité était toujours à une centaine de mètres de sa cible. Dominante, elle préparait son prochain coup. Le ciel toujours gris et chargé s’ouvrit en une fraction de seconde. L’entité invoqua une colonne d’eau qui fendit les nuages et descendit dans sa direction. Une fois parvenu à la hauteur de la créature de vents, ce torrent céleste fut dévié en direction des compagnons. L’entité ne jouait plus.

C’était la fin.

La colonne d’eau fonçait sur eux, chargée de pic de glace. Une lueur bleu profond se dégagea du bracelet de vie de Lars.

— Maintenant !

La trombe d’eau frappa le sommet du doigt de plein fouet. Une déflagration retentit bien au-delà des champs de stalagmites. Trois formes glacées gisaient sur le sommet. Transpercées de part en part de grands pics de glace, ces silhouettes gelées aux formes de Lars, Aatos et Wali gisaient en paix.

— Tout … tout va bien ?

Aatos regarda le vide en dessous de lui, ses jambes pendaient dans les airs.

— Oui … oui, je crois.

Je ne vais pas tenir longtemps avec mon poignet.

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