L’épopée de Lars & Aatos

Chapitre 25

14 juin 2142

Une espèce d’autruche à trois têtes parées de plumes d’argent et de pattes d’un bleu vif accueillit Lars et son groupe. Les créatures qui s’étaient postées derrière l’autruche semblaient tout droit sorties d’un cauchemar. Le laid et le kitsch côtoyaient l’immonde et le mal formé. Une véritable peinture de volatiles surréalistes s’offrait aux yeux des voyageurs. Édouard les avait pourtant prévenus, c’était « de drôles d’oiseaux ». Leurs différences monstrueuses les réunissaient. L’autruche prit la parole dans des cris parvenant à certaines octaves hors d’atteinte pour les cordes vocales des hommes. Lars fronça les sourcils, signifiant qu’il ne comprenait pas un mot. Haaa mes oreilles … Aatos grimaçait à chaque cri aigu, plus sensible à ces fréquences. Mais qu’essaie-t-il de dire ? Ces cris sont insupportables !

— Regarde Aatos, il essaie de communiquer, mais son message parait reparti sur chaque tête … Oui c’est ça, à un tiers égal sur chaque tête ! Si tu observes bien, tu remarqueras les nuances … Tu as vu, Aatos, c’est dingue, hein ?

— Et cet oiseau essaie de nous dire quoi alors ? répondit Aatos, en mettant ses mains sur les oreilles pour essayer d’apaiser ses tympans.

— Mais j’en ai f********* aucune idée.

— Quoi ?

Il leva les mains de ses oreilles pour entendre la réponse de son oncle.

— Je dis que je n’en sais rien, c’est incompréhensible.

Lars sortit le portrait de Édouard de son sac. Il le montra d’abord à l’autruche qui s’arrêta de jacasser, puis retourna l’image pour laisser découvrir le message. 

Le soleil perdait de l’altitude à vue d’œil. Depuis ce plateau intermédiaire, le petit groupe surplombait le royaume nord de méditerranée de Édouard. Ils pouvaient enfin apercevoir la mer Tyrrhénienne à l’horizon, au-delà du cirque rocheux. Dans un désert de pierres, de roches et de reste d’activités volcaniques demeurait une grande tâche verte au bord de la mer : c’était la forêt dans laquelle Aatos avait défait le Dr Von Guten. Aatos commençait à ressentir les effets de l’altitude. L’atmosphère était plus fraîche. Le léger manque d’oxygène le fatiguait. Wali forma une flèche avec sa carapace en direction du trou béant dans le flanc de la montagne. Il faisait remarquer la grotte en arrière-plan à son compagnon, Aatos.

— Lars, il y a une grotte là-bas !

Des perroquets vert fluo aux yeux perçants, une grue huppée sans plume ou encore un groupe de perdreaux à trois pattes restaient plantés derrière la sorte d’autruche à observer les deux humains et le petit blairant. Alors qu’ils marchaient sans dire mot en direction de la grotte, le ciel se couvrit en l’espace de quelques secondes. Après quelques grondements, ce fut au tour de la grêle de s’abattre sur les flancs des montagnes Pâles. Le petit groupe ainsi que l’autruche et ses comparses malbâtis coururent pour se mettre à l’abri : une meute d’estropiés en quête de sécurité. De la taille d’un poing, les grêlons percutèrent avec fracas le sol en pierre. Un crâne aurait pu être fendu en moins de temps qu’il le faut pour voir arriver le projectile. Tous agglutinés, ils observaient l’averse de glace depuis l’ouverture de la grotte. Quelques instants après, alors que le sol était jonché d’une vingtaine de centimètres de glace, des bourrasques amenèrent un air froid glacial. Ils reculèrent dans les fonds humides de la grotte mal-aménagée. Des fientes et des plumes ornaient le sol. Une odeur âcre parvenait aux narines de Lars et Aatos. Le remugle issu de ces oiseaux mal formés retourna l’estomac de Aatos. Il régurgita de dégout les restes de son repas.

— B*****, Aatos, il va falloir tenir !

— Je … je n’ai pas fait exprès. C’est … dégoutant cette odeur.

Aatos s’essuya la bouche avec le revers de sa main et se pinça le nez avec l’autre. À un moment, ils durent arrêter leur avancée dans la grotte tant les émanations étaient insoutenables. Pour se protéger, ils se serrèrent les uns aux autres, unis par les contraintes météorologiques. C’est vraiment… dégueulasse… Beurk., beurk, beurk …

Dehors, le temps changea une nouvelle fois. Un fort foehn soutenu réchauffa l’atmosphère et pénétra dans la grotte. Rapidement, l’endroit se transforma en étuve et les émanations de fientes se transformèrent en vapeurs poisseuses. Lars, Aatos et Wali coururent à l’extérieur. Une fois hors de la cache, le ciel était à nouveau clair. La couche de glace formée par les grêlons commençait déjà à fondre. Un clair-obscur se préparait avec en fond de toile un croissant de lune. Les vents chauds s’écrasaient sur le visage méfiant de l’oncle. Aatos reprenait son souffle. De l’air pur …

— Pourquoi … fiou … le temps change sans arrêt ici ?

— C’est ce que j’aimerais comprendre, Aatos.

Le petit groupe prépara à l’écart un repas froid dans la hâte et mangea. Ils retournèrent ensuite dans la grotte. Lars avait repéré une sorte de cage en bois dans un coin, en hauteur, proche de l’entrée. Quan et Rocky montèrent dessus.

— Mais, nous allons dormir là ? demanda Aatos

— C’est l’endroit le plus sécurisé de la montagne pour une telle activité, oui, répondit Lars en souriant.

Quelle misère ! Aatos monta dans la cage et se cala dans un coin. Wali le rejoignit et se blottit contre son compagnon. Lars, en entrant, referma une porte en bois branlante. Les rondins de bois constituaient leur matelas pour la nuit. Calés sur leur sac transformé en coussin, ils s’apprêtaient à s’endormir. Aatos s’était habitué aux odeurs âcres provenant du fond de la grotte. Il sentait que tout son être s’en imprégnait. Mais ce qui le préoccupait à présent était d’une tout autre nature.

— Lars

— Oui ?

— Comment as-tu rencontré ta bien-aimée ?

— …

— Lars ?

— Oui, j’ai entendu ta question.

— Laisse tomber.

Aatos se retourna sur le flanc, le dos contre son oncle. Alors qu’il s’apprêtait à s’endormir, une voix s’éleva dans l’obscurité de cette grotte nauséabonde son oncle lui dit avec un timbre frémissant :

— Je … Je veux bien te raconter notre rencontre.

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