L’épopée de Lars & Aatos

14 juin 2142

Le soleil était déjà haut dans le ciel lorsque Lars, Aatos, Wali et l’escorte des rapaces quittèrent le royaume des oiseaux. L’oncle avait donné ses instructions avant le départ. Selon sa carte, la première partie consistait en un petit chemin pédestre sillonnant à travers les étendues de roches. Chacun savait que plus de dix jours de marche soutenue les attendaient si de bonnes conditions météorologiques étaient au rendez-vous. Lars avait aussi rappelé que la partie délicate résidait dans le passage de ces sommets piqués de ces concrétions millénaires et gigantesques formées par l’érosion. Les fissures et les crevasses étaient nombreuses à cet endroit. La pente était bien moins raide et technique que sur les deux premières parties, mais le danger était omniprésent, bien qu’imperceptible de prime abord. Des éboulements survenaient de manière régulière à cet endroit. Les sacs pourtant bien remplis, la suite de l’aventure commençait de façon légère.

Sur les sommets des montagnes Pâles, les stalagmites géantes – appelé piliers de vie par Édouard – avaient retenu quelques petits nuages chargés : un temps normal en cette saison. Un léger vent butait contre leurs visages. Les rapaces survolaient en amont le chemin afin de détecter d’éventuels dangers. Ces deux protecteurs flanquaient toujours la trouille à Aatos avec leur air sérieux de tueur à gages. Il n’osait pas croiser leurs regards. Quant à Wali, il suivait le groupe comme à son habitude, sans geindre et en s’aidant parfois de sa carapace. Ils avançaient dans le calme, chacun gardait des forces pour la suite. Au bout de quelques heures, Lars ordonna une pause pour se ravitailler.

— Nous ne faisons pas long, profitez de manger et boire quelque chose. Allez là-bas derrière si vous avez un besoin pressant. Nous repartons dans dix minutes, dit Lars.

Héhé, l’oncle commandant ne m’avait pas manqué ! Lars s’assit à l’écart.

— Est-ce que tu veux des fruits secs, demanda Aatos, sortant son oncle de ses pensées.

— … Non … Merci, c’est gentil, répondit-il évasif. Nous partons dans deux minutes, ajouta-t-il plus consistant.

Le soleil était à présent à son zénith et chacun se couvrit la tête, sauf les rapaces qui semblaient avoir un coup de soleil permanent à cause de leurs têtes rougies naturellement. Aatos était d’ailleurs fasciné autant que dégoûté de la tête du vautour pape en particulier. Avec ces formes colorées incongrues sur sa tête rougie, Aatos ne pouvait s’empêcher de penser qu’il était une déformation de naissance dans son entier. Rocky est réputé être l’un des meilleurs chasseurs que le royaume des oiseaux eut portés, selon Édouard. Mais était-ce sa drôle de tête, cette particularité, qui lui permettait d’accéder à ce rang ?

Le tracé choisi avait beau être facile, cette deuxième partie les obligea à traverser une longue prairie aride dans laquelle les larges pierres avaient emmagasiné toute la chaleur du matin. En plus du soleil et de l’absence de nuage pour couvrir le bleu azur, le petit groupe souffrait de cette température élevée. Seul un vent qui alternait entre bouffées et bourrasques donnait une sensation de fraîcheur. L’objectif de la journée était d’atteindre le pied des premières stalagmites. Ils pourraient monter à cet endroit un campement et s’abriter pour la nuit.

— J’ai soif, se plaignit Aatos, quelque temps plus tard.

Lars fit un arrêt sans dire mot, ils burent et repartir. Aatos marchait dans les pas de son oncle. Je ne suis pas à la hauteur des attentes de Lars. Il ne m’adresse même plus la parole … Les deux oiseaux volaient de manière circulaire au-dessus des têtes de Aatos et Lars. Cette aérienne protection carnassière, prête à tomber, serres acérées toutes dehors, dissuadait ainsi toutes velléités d’attaque du trio.

Pourtant, un tel danger n’était pas la première préoccupation de Lars. La proposition d’accompagnement organisée par le Pélican était une mondanité de plus. Rien de moins. La réelle préoccupation de l’oncle était l’effort physique à déployer pour parvenir au sommet. La chaleur étouffante ralentissait l’avancée. Son neveu montrait des signes de fatigue et chaque alizé était le bienvenu.

— Lars, il reste combien de temps avant d’arriver ? demanda Aatos, d’une voix craintive.

À cet instant, Aatos voyait un besoin vital de poser cette question, même s’il avait remarqué l’agacement de son oncle pour ce genre de question. Il avait si chaud, que cette simple marche devint difficile pour lui.

— Tu sauras quand nous y serons, répondit son oncle, bien décidé à ne pas laisser son neveu se plaindre.

— Mais s’il te plaît, réponds-moi, j’ai soif ! se plaignit le jeune homme.

— Tu as de la chance, cria Lars. Profite et nourris cette sensation !

Aatos fut pris d’un vertige.

Notons que je regrette néanmoins que nul n’explore l’infini de la soif, la pureté de cet élan, l’âpre noblesse qui est la nôtre à l’instant où nous l’éprouvons…

Mais pourquoi je me souviens de cela maintenant ?

Tout comme lors de l’utilisation de la Rocca, Aatos eut un flash. Il ferma les yeux, inspira et expira fort.

— Tu fais quoi Aatos, tout va bien ?

— Oui … Oui, c’est bon maintenant.

Lars le regardait avec suspicion, tentant de comprendre ce qui se passait dans le for intérieur de son neveu. Puis, il reprit :

— Dès que nous aurons traversé ce pierrier, il restera encore deux kilomètres avant d’établir le premier campement … Tiens, regarde les nuages, ils se déplacent vite, cela veut dire qu’un vent soutenu vient à notre rencontre, s’exclama Lars pour encourager son neveu.

Les nuages se déplaçaient du nord au sud, une direction qui n’avait jamais été observée par l’oncle en 86 ans depuis le cirque rocheux.

— Les montagnes Pâles doivent créer des conditions particulières … Surtout avec le volcan sur son autre flanc à quelques kilomètres du sommet, dit-il.

Enfin, cette marche à une fin … Aatos, sentant un vent de fraîcheur survenir, se calma et prit sur lui. Il était toujours plus facile pour le garçon de terminer lorsqu’il lui était possible de visualiser la fin d’une action ou d’un événement ; la difficulté résidait dans l’inconnu et son incapacité à ajuster l’effort pour parvenir au bout.

Le groupe atteignit à la fin du pierrier. La chaleur était descendue d’un cran alors que le vent se levait, comme l’avait prévu l’oncle. Aatos savait qu’il restait deux kilomètres à parcourir. Les deux rapaces tournoyaient toujours au-dessus de leurs têtes. Wali suivait toujours sans montrer de signes de faiblesse. Ils sont tous tellement plus courageux et forts que moi … Il balaya cette idée d’un revers de main mental en se remémorant sa victoire dans la forêt du cratère ainsi que l’étape de la grotte de l’ermite. J’ai tout de même réussi certaines étapes importantes. C’était pour lui une façon de s’autopersuader et de garder son semblant de consistance.

— Nous pouvons établir le campement ici, contre cette paroi, il y a une sorte de cavité naturelle à son pied. Allez voir si nous sommes hors des zones d’éboulement, ordonna Lars aux rapaces en montrant du doigt un monticule en pierre grise d’une trentaine de mètres.

Le soleil avait entamé sa descente et les nuages masquaient son nimbe naturel. Le vent s’était levé. Des bourrasques venaient s’écraser sur les corps fatigués des marcheurs. Ils avaient parcouru plus de trente kilomètres en moins d’une journée.

Les oiseaux revinrent pour confirmer que la voie était libre pour établir le campement. Enfin une pause … Mes pieds, quelle douleur … Lars emmena tout le groupe aux abords de la cavité et ordonna une inspection. Lorsque celle-ci fut terminée, ils installèrent le campement et les récupérateurs d’eau de pluie. Le groupe rassembla du bois des quelques épineux aux abords pour alimenter le feu de camp. Ils avaient besoin de s’éclairer et de chauffer le repas du soir. Durant ce temps, le vent s’intensifiait.

— Il nous faut plus de bois et des pierres pour renforcer les toiles tirées le long de la cavité

L’oncle ne voulait pas passer une nuit dans le froid et le noir de la montagne avec un vent si soutenu. Ils devaient tous bien se reposer. Ici, même le vent pouvait être un potentiel ennemi.

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