L’épopée de Lars & Aatos

13 juin 2142

Lorsque Aatos se réveilla, son oncle était déjà habillé. Il buvait un breuvage chaud et corsé à base de chicorée en regardant le cirque rocheux s’illuminer depuis la baie vitrée de la suite troglodyte. Le paysage était somptueux.

— Salut Lars, bien dormi ? Qu’est-ce que tu regardes comme ça ?

La voix de Aatos était pleine d’entrain.

— Oui, tout va bien et toi ? répondit Lars de manière distraite.

Son oncle était à nouveau plongé dans ses pensées. La nuit paraissait avoir été rude pour lui. L’excès de boisson a dû lui retourner le cerveau et les émotions, pauvre Lars.

— Tout va bien, mais toi tu n’as pas l’air bien, observa le jeune homme.

— Et comment peux-tu affirmer cela, petit malin ? rétorqua l’oncle en sortant de sa torpeur, un sourire sarcastique pendu à ses lèvres.

— C’est à cause de Liv ?

Lars se retourna, déconcerté. Il se reprit et répondit :

— Non, c’est n’est pas à cause de Liv. Et cela ne te regarde de toute façon pas … C’est … C’est un cauchemar récurrent qui est revenu, c’est tout, j’ai mal dormi.

Aïe, il n’est pas prêt à en parler. J’ai été bête de vouloir insister … Lars se retourna en direction de la baie vitrée.

C’était toujours de cette façon qu’un lien entre deux humains se distordait pour rompre. Une communication claire et franche était le nerf de la guerre : une bataille avait été perdue ce matin.

La petite troupe prit l’escalier pour rejoindre Édouard. Wali était monté sur l’épaule de Aatos. Dans une atmosphère lourde, ils arrivèrent au bas de l’escalier. Le soleil vint taper sur le visage de Lars et Aatos. Les cris des oiseaux parvinrent à leurs oreilles. Aatos traina les pieds de façon inhabituelle, n’osant trop regarder son oncle.

— Vous ne pouvez pas avancer un peu plus vite ? demanda Lars avec gêne.

Il ne se sent pas très bien, encore une fois. Je me demande si c’est ma remarque qui l’a mis dans cet état …

Une fois arrivés dans les quartiers royaux, ils trouvèrent un Roi fatigué et chagrin au bout d’une grande table. Malgré la présence des sœurs pie et celle du personnel de maison, le pélécanidé se paraissait esseulé. Il battait des ailes avec difficulté. Seul au pouvoir, seul à souffrir, la solitude l’accompagnait depuis longtemps.

— Mon ami ! Tu m’as l’air en petite forme, s’écria Lars depuis l’autre bout de la pièce, reléguant sa morosité matinale au second plan.

— Le contrecoup d’une soirée trop arrosée peut-être ? Nous avons terminé au petit matin, répondit le pélican avec une tonalité avilissante.

— Sacré Édouard ! répondit l’oncle en lui fichant un poing amical dans le flanc.

— Doucement, Lars, doucement, mon estomac n’est pas encore en état.

— Tout comme tes ailes ! déclara Lars, goguenard.

— Pouvons-nous régler « cela » dans mes appartements plutôt ? demanda Édouard sur un ton plus bas.

— Bien entendu …

D’où vient ce changement d’humeur soudain du vieux ? Ils pénètrent un couloir qui les mena dans une salle richement décorée. Lars du baisser la tête dans l’encadrement de la porte pour entrer. Les murs en roche avaient été piqués de sorte que leur surface faisait penser à un crépi gris. Çà et là, des incisions représentaient les armoiries du royaume Nord de méditerranée. Une technique de raclage semblait produire volume et couleur sur la roche, donnant de la profondeur à ces pétroglyphes ancestraux. En entrant à droite, un meuble en bois massif contenait des archives et de la vaisselle. Seules deux fissures dans la roche laissaient pénétrer une lumière naturelle. L’éclairage à la bougie restait la norme pour ce royaume troglodyte. Édouard s’assit sur un fauteuil en plume adapté à sa morphologie alors qu’il avait invité Lars et Aatos sur un canapé en velours côtelé.

— Nous serons plus tranquilles ici, déclara le pélican une fois installé.

Les mouvements des flammes de bougies donnaient un aspect spectral au Roi.

— Qu’est-ce qu’il se passe ? coupa Aatos qui ne comprenait rien à l’échange.

Marre de me faire trimbaler à gauche et à droite, sans avoir mon mot à dire … Que Lars veuille garder ses secrets, pourquoi pas ? Au final, ce sont ses problèmes… Mais là, que faisons-nous avec Édouard, pourquoi ne pas repartir à l’aventure ? 

— Et bien Édouard ne peut pas voler à cause de sa fibromyalgie. Tu vas le soigner à l’aide d’Amor. Si tu as pu le faire sur Wali, c’est réalisable sur notre ami. En parvenant à remettre en place son système nerveux, Édouard nous donnera la gemme de plume, pluma, qu’il porte à son cou, n’est-ce pas Édouard ?

— Oui, c’est cela, bien que je doute que tu puisses faire quoique ce soit …

Haaaa voilà qui est plus clair … Bon, c’est à moi de jouer, je suppose. Aatos se leva du canapé. Il se positionna derrière le pélécanidé en se frottant la paume des mains.

— Euh, tu es sûr de ce que tu fais ?

— Non, mais il le fait très bien, répondit Lars, à la place de son neveu, avec un sourire de fierté.

Aatos leva ses mains au niveau des omoplates de l’oiseau. Une lueur rouge rosée éclaira la pièce pendant trois secondes. Satisfait, Aatos recula d’un pas.

— Voilà, c’est bon !

Le Pélican se retourna pour voir Aatos. En voyant l’air concentré et ravi du neveu de Lars, il comprit qu’il était sérieux.

— Et c’est tout ! Je ne peux pas le croire … Je … Non … C’est impossible !

Il levait les ailes au-dessus de sa tête pour signifier son étonnement, preuve que le traitement avait fonctionné. La douleur paraissait avoir quitté le corps de Édouard.

— C’est incroyable, c’est formidable ! Je n’ai plus mal ! … Mais est-ce que je suis vraiment guéri ? demanda Édouard dans un air de suspicion.

Le miracle lui semblait trop beau pour être vrai et, surtout, durable.

— Oui, absolument ! dit Lars en se levant du siège.

L’oncle tendit la main au pélican pour recevoir leur dû. Édouard s’empressa d’enlever son collier et de détacher la gemme de plume, pluma, du médaillon. Lorsqu’il remit la pierre à Lars, il avait l’air de douter encore de la véracité de la métamorphose de son vieux corps tant il n’était plus habitué à vivre sans douleur.

— Force est de constater que je suis obligé de vous faire confiance.

— Personne n’est jamais obligé de rien. Merci d’avoir honoré ton contrat, cela nous sera d’une aide précieuse ! Nous allons l’entrainer cet après-midi, d’accord Aatos ? déclara Lars.

— Euh oui, oui …

— Mais d’abord nous allons faire une sieste, je sais que c’est de cela que tu as besoin après ce miracle, dit-il avec un clin d’œil.

— Prenez notre salle d’entrainement, je vous la réserve pour l’après-midi ! déclara Édouard qui se touchait les pattes à présent, enjoué de pouvoir se baisser de la sorte.

En se dirigeant, vers leur chambre, Lars mit la main sur l’épaule de son neveu. Serein, il lui déclara :

— Je serai bientôt prêt à te parler de Liv, sois patient, s’il te plait, j’ai besoin de temps.

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