L’épopée de Lars & Aatos

13 juin 2142

Au réveil, Aatos eut une sensation de déjà-vu. Son oncle se tenait à nouveau au même emplacement que ce matin à son levé, une boisson chaude à la main, surplombant le cirque rocheux depuis la baie vitrée de la suite. Aatos sortit de son nid.

— Salut Lars ! Tu n’as pas dormi ?

— Non, je n’ai pas réussi …

— Mmmh … Je suis désolé pour toi, dit Aatos en lui attrapant la main.

— Ne me prends pas en pitié, il n’y a pas de place pour cela avec moi…

 Oh … Oui, bien sûr, excuse-moi.

Aatos s’empressa de lâcher la main de son oncle et partit préparer ses affaires pour l’entrainement. Un merle dépêché par le roi vint frapper à la porte. Il leur remit des barres de céréales et des jus de fruits en guise de repas préentraînement.

Une fois arrivés au Palais royal, ils furent conduits dans une arrière-salle construite et creusée à même la roche. C’était une salle de plus de quarante mètres sous plafond. Une mosaïque de carreaux bleus de différentes teintes grimpait aux murs voûtés. La salle ovale était transpercée de part en part d’embouchures vitrées qui amenaient cette luminosité caractéristique à cette salle d’entraînement. Des perchoirs descendaient du plafond et s’arrêtaient à des hauteurs diverses. Un vieux faucon pèlerin ralenti par le poids des années avait la charge d’entraîner l’oncle et son neveu. Il était l’un des derniers à détenir les secrets et les bonnes mesures d’un examen de vol passé avec succès dans son entier. Lars et Aatos apprendraient à voler grâce à lui. Deux jeunes faucons pèlerins étaient présents au côté du maître. Ça doit être la relève. Édouard fit son apparition peu avant le début de la séance afin de présenter chacune des parties et interpréter les cris des trois faucons. Le Pélican se retira ensuite dans ses quartiers, prétextant avoir à gouverner. Le premier exercice auquel s’adonnèrent Lars et son neveu fut la séparation de la gemme de plume, pluma. L’oncle, habitué à manipuler des gemmes naturelles savait qu’une séparation était réalisable ; la quantité de gemme pure était suffisante pour risquer cet exercice de précision. Il fit donc attendre en silence les trois oiseaux durant toute l’opération. Lars tournait le dos, accroupi, au groupe lorsqu’il s’exclama :

— Voilà ! s’exclama-t-il, satisfait. Viens ici Aatos.

Toujours sans se retourner, il accueillit son neveu à ses côtés et lui demanda de poser son bras sur sa cuisse. L’oncle déposa un fragment de la gemme de plume, pluma, sur le bracelet de vie de son neveu.

— Maintenant, il faut l’assimiler. Tu sais comment ça marche, termina-t-il avec autorité.

Aatos suivit les ordres de son oncle. Son bracelet de vie se mit à dégager une lueur de nacre violacée. Puis, le regard vif, il s’éleva dans les airs. D’abord, ses genoux et ses pieds quittèrent le sol d’une dizaine de centimètres. Il flottait de façon agréable et incontrôlée. Il se retourna après s’être élevé d’une cinquantaine de centimètres supplémentaires. La tête en bas, Aatos essaya, en vain, de se concentrer. Cela eut pour effet de le faire monter à plus de six mètres en quelques secondes.

— Woooohaaaa, cria le garçon dans les airs.

— Diminue l’intensité de ta concentration Aatos, ordonna l’oncle. Non, reviens ici ! Diminue l’intensité, criait l’oncle au fur et à mesure que son neveu s’élevait dans les airs.

— Je… Jeee ne contrôle rien, criait-il au loin…

Aatos était maintenant à plus de vingt mètres dans les airs.

— Accroche-toi aux perchoirs, j’arrive ! ordonna l’oncle qui assimila à son tour pluma, créant la même lueur nacrée sur son bracelet de vie.

Aatos criait, accroché à un perchoir à plus de trente mètres du sol. L’oncle s’éleva dans les airs trois fois plus vite que son neveu. Malgré le manque de contrôle, Lars souriait de toujours pouvoir compter sur son expérience : l’assimilation des gemmes pures naturelles n’était toujours pas un problème pour lui.

— Ça fait mal … se plaignit le garçon, larme à l’œil, se balançant dans le vide, accroché à un vieux perchoir en bois écorché.

— Oh, arrête de te plaindre, je suis là ! s’énerva son oncle.

Lars détestait que les autres montrent leurs faiblesses. Encore plus lorsqu’il s’agissait d’un être cher. L’oncle prit son neveu dans les bras et entama une descente douce. Une fois atterri, il lâcha Aatos sur le sol en carrelage de faïence.

— Aïe, pourquoi tu me lâches comme ça ? demanda le jeune homme, larme à l’œil.

— Je t’ai dit d’arrêter de te plaindre, maîtrise-toi, B**** ! sanctionna Lars.

Pendant ce temps, Wali et ses trois nouveaux compagnons à plumes du jour attendaient.

— Nous avons besoin de près d’une heure de régénération pour utiliser à nouveau la gemme de plume à cause du manque de maitrise de mon neveu …

Les oiseaux ne bronchèrent pas. Aatos se tint tranquille dans un coin à l’écart, il se repassait en boucle son raté et ne voulait le reproduire en aucun cas. Je ne peux pas échouer. Lars n’est déjà pas bien, je ne dois pas être un poids pour lui … Il ne doit plus se fâcher encore une fois. Lars, quant à lui, s’entraînait : pompes, planches, tractions, abdos et squats pendant toute l’heure. L’assimilation de cette quatorzième gemme lui avait rendu sa jeunesse. Il choyait son vieux corps et cela se remarquait en le voyant faire ses exercices.

À la fin de soixante minutes durant lesquelles aucune parole ne fut échangée entre les individus présents dans la salle, Lars déclara :

— Nous pouvons recommencer l’entraînement de vol.

Tout le monde conversa à nouveau. Dans les airs, les faucons se montraient être de véritables machines de guerre. Ils démontraient un savoir-faire hors norme. Leurs cris étaient incompréhensibles pour l’oncle et son neveu, mais révélaient des secrets de maîtrise précieux. Les démonstrations qui accompagnaient chaque cri étaient suffisantes pour comprendre leur signification. Après les parades aériennes rapides des jeunes faucons, Lars trépignait de s’élever dans les airs. Il voyait que ce n’était pas le cas de son neveu qui peinait à combattre sa peur. Alors, cette fois-ci, au lieu de le rudoyer, il décida de l’encourager :

— Qu’est-ce qui te retient ?

— Rien … C’est juste que je n’ai pas compris certaines techniques que le maître a expliquées, avoua-t-il avec peine.

— Eh bien, nous avons juste à leur demander de nous montrer une deuxième fois. Je te ferai une explication en direct des mouvements, dit Lars.

Il fit un geste de la main au maître signifiant de répéter la démonstration. Les jeunes faucons s’envolèrent et prirent la direction des airs une seconde fois.

— Tout d’abord, il y a l’envol, c’est le plus important. C’est lui qui te met en confiance pour la suite et sépare le terrien de l’aérien. C’est un mouvement de transition qui change ta condition d’humain bipède. C’est la raison pour laquelle tu as perdu tes moyens tout à l’heure, expliqua Lars à son neveu très attentif.

Les deux jeunes rapaces étaient maintenant en vol stationnaire à dix mètres. Ils se basaient sur l’unique source de vent ascendant provenant des falaises et capturé dans les entrailles de la tour. L’oncle reprit sa tentative de traduction des cris du maître de vol :

— Ceci est une position de semi-repos, cela te permet d’observer, mais, attention, pas de récupérer. Cela consomme de l’énergie de rester statique dans les airs.

Aatos acquiesça. Les faucons pèlerins débutèrent une série de manœuvres : gauche, droite, gauche, revirement, piqué, remontée et changements directionnels rapides constituaient ce nouveau pan d’explications. Toujours en parallèle des cris du maître, l’oncle ajouta :

— Et là, tu vois, Aatos, l’importance de la maîtrise des changements de direction rapides. Cela permet de différencier ceux qui savent voler de ceux qui survolent. Les faucons, en particulier, maitrisent à la perfection cette délicate technique, regarde !

Les faucons piquèrent en direction du sol. Ils terminèrent par un atterrissage en douceur.

— Ce dernier passage est un retour à l’état de base ; c’est le geste le plus rassurant dans toute cette démonstration. Mais, de ce fait, il est dangereux puisque c’est à ce moment qu’il est le plus facile de perdre le contrôle, car trop empressé d’atterrir, termina d’expliquer Lars.

Bon, ça parait plus clair pour moi à présent. Je peux réussir. Il s’éleva de manière gracieuse, quoique peu sure, le regard concentré. À un mètre, il toisait le groupe malgré lui. Je… Je maitrise le décollage ! Dans un instant de grâce volé à la terre, il atteignit le point d’entrée des courants ascendants. Il écarta élégamment les bras. C’est bon, ça tient ! Son corps entier était sous son contrôle. Le vent embrassait chaque pore de sa peau : il lévitait sans l’éviter. Ce courant était devenu son ami. Aatos, majestueux, apprivoisait cette brise chaude. L’aisance atteinte, il se dirigea d’un coup vif sur sa droite. C’est fou ! La portance le fit basculer. Il entama une série de manœuvres rapides. Droite, gauche, haut, bas, accélération, gauche, décélération, droite. Il stabilisa son corps à quelques mètres du sol. Aatos ne faisait qu’un avec les airs. Centré. Concentré. Décentré de ses distractions, il était présent. Ici. Là. Allégé du poids de ses pensées, plus léger que l’air. Cette sensation est incroyable !

— Aatos, B****, ça fait dix secondes !

— Hein, quoi ? Oooh … aaaaaaaaH

Il piqua, jambes en avant.

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