L’épopée de Lars & Aatos

12 juin 2142

Un paysage lunaire, le bruit en plus. Piaillements, piaffements, babillements, bubulements, coassements et autres piaulements parvenaient sans discontinuer aux oreilles de la cordée. De manière étonnante à cette altitude, la chaleur régnait au sein du nid. Ici s’étalait un pierrier à perte de vue, parsemé de cratères et de nids, de cratères et de nids. Une grande bordure d’un mètre cinquante, tout en pierre, semblait entourer tout le lieu et séparait la volière du vide. Rien ne laissait concevoir que ces oiseaux perdaient leurs plumes ou faisaient leurs besoins, tant le camp était dénué des attributs habituels d’un nid. D’ailleurs, l’endroit ne dégageait aucune exhalaison de fientes. Des dizaines d’espèces paraissaient cohabiter avec beaucoup de facilité dans cet espace restreint.

Les étourneaux avaient terminé leur besogne pour le compte de Aatos. Les traits du visage tirés, Aatos se sentait usé par l’utilisation de la gemme animale, bestia. Lorsqu’ils furent libérés, les oiseaux rejoignirent leur volée dans les parois qui surplombaient la place principale.

— Oiseaux semi-cavernicoles, ils nichent aux côtés de pigeons, de gobemouches gris, de rouge-queue noirs, de rouges-gorges, de bergeronnettes grises et de troglodytes mignons. Juste au-dessus, lové sous un revers de la montagne, tu peux voir un alignement de nids d’hirondelles suspendus dans le vide. Et là, encore plus haut se trouvent, au sommet de piliers rocheux, des cigognes et des hérons.

Le regard de l’oncle se tourna ensuite vers l’autre extrémité, sur une terrasse à différents niveaux.

— Ici résident les oiseaux marins de la méditerranée. Venez avec moi, nous allons en direction des cormorans, des mouettes, des lourds albatros, des familles de sternes, des macareux et des groupes de goélands bruyants.

Il en connait des noms d’oiseaux ce vieux Lars, ha ha ha … Au milieu de cette cacophonie marine se dégagea un majestueux pélican. Il s’adressa à l’oncle.

— Hey toi, vieux chnoque ! On ne t’attendait plus, piaulait, très humain, l’oiseau. Fiiiiiiouuuuu, hey bas, tu n’as pas changé depuis l’année dernière, ajouta-t-il.

— Édouard ! Vieille canaille, toujours aussi flatteur, répondit Lars en rigolant.

Aatos était sidéré. Je … je le comprends ! Mais comment est-ce possible ?

— Qu’est-ce qui vous amène ici, vieux frère ? demanda le pélican de sa voix nasillarde, interloqué de voir l’oncle et sa petite cordée. Serait-ce Aatos ? ajouta-t-il d’emblée.

À cette question, il éleva ses ailes dans les airs, perdit quelques plumes et bougea son postérieur. Deux moineaux vinrent prélever les plumes du Pélican au sol et disparurent aussitôt. Aatos remarqua un collier autour du cou du pélécanidé. Est-ce qu’il porte une gemme autour du cou ?

— Oui, voici mon neveu et son animal de compagnie, répondit l’oncle en montrant ses deux compagnons.

L’intonation de sa voix avait diminué à l’évocation du petit blairant.

— Nous rejoignons Terminus dans un premier temps. Nous continuerons vers le nord pour rejoindre La Cité.

— Je vois … fit l’oiseau d’un ton grave.

Édouard avait compris que l’heure n’était pas à la fête cette fois-ci.

— Soyez les bienvenus au royaume des oiseaux ! Reposez-vous tant que vous le voulez. Voilà plusieurs jours que nous ne pouvons plus franchir les montagnes Pâles à cause du mauvais temps. Le vent a une texture exceptionnelle, nous n’avions jamais vu cela jusqu’à aujourd’hui, parole de piaf, termina le Pélican.

— Haaa … C’est donc pour ça que je ne voyais plus aucun oiseau dans le ciel ?

— Oui, j’ai donné une directive à tout le royaume dans ce sens.

— Voiiilà, B*****, je savais que quelque chose ne tournait pas rond, dit l’oncle.

Il me fait rire quand même avec son envie de tout comprendre et de ne rien laisser au hasard …

— Où pouvons-nous dormir ? demanda-t-il encore.

— Eh bien, au vu de cette visite exceptionnelle, je te propose la suite, proche de la couveuse. Il y règne une chaleur bienvenue en cette altitude. Nous la réservons aux parents de nouveau-nés, mais c’est calme ces temps.

— Parfait, dit l’oncle en guise d’approbation.

Le petit groupe se dirigea vers la suite en question. Ils longèrent les nids des oiseaux marins et parvinrent à un endroit bruyant. Des poules, des oies, de fiers chapons, de poussifs poussins, quelques dindons de la farce, perdrix et cailles, des canards, des faisans, pintades et sarcelles, une véritable basse-cour était accrochée aux façades rocheuses. La singulière couveuse se présenta devant eux : construite à même la roche, Aatos observa avec étonnement les ouvertures vitrées de chaque chambre enfoncée dans la paroi. Ils traversèrent des trufflements, des cacabements, des glapissements, des brourissements et autres braillements. L’oncle chancela. Des sueurs froides lui montaient à la tête. Il paraissait pris de vertiges.

— Lars, mon vieux, ça va ? demanda le Pélican, inquiet.

— Oui, oui, marchons plus vite, répondit-il, la voix étouffée.

En une journée, c’est la troisième fois qu’il se comporte de façon bizarre … Quelque chose ne va pas. Le groupe se fraya un chemin au travers de la volaille. Wali grognait à certains moments et Aatos dut le raisonner. L’équipe arriva enfin à la porte d’entrée de la suite. Ils prirent un escalier en colimaçon creusé dans la roche. Les marches étaient très courtes, adaptées aux pattes des oiseaux. Des portes d’un mètre quarante accompagnaient l’édifice sur toute sa hauteur, à chaque étage de couveuses. Par sortes, genres, couleurs, besoin en température, les œufs étaient couvés dans les entrailles de la montagne.

— Il fait chaud …

Aatos tirait sur le col de sa tunique.

— Tout est chauffé par un système géothermique ancestral. Les chambres de naissance se trouvent au dernier étage, venez ! répondit Édouard.

L’édifice était conçu à la taille des oiseaux. Lars se mouvait avec difficulté dans l’escalier. Un voile de tensions enveloppait Aatos. Encore un lieu étroit…

— Tenez, prenez celle-ci, dit le Pélican.

Il montra une porte en bois massif ornée de sculptures représentant des vols nuptiaux mis en scène dans une chorégraphie aérienne.

— Nous nous reverrons dans trois heures, le temps que je fasse préparer le buffet, ajouta-t-il en clignant de l’œil à Lars dans une totale connivence.

— Merci mon vieux, se contenta de répondre Lars engoncé dans la voute de l’escalier, sa carrure l’invitait à la cambrure.

Chacun prit ses quartiers dans cette gigantesque suite troglodyte. Elle paraissait être imaginée pour des familles nombreuses. Ce n’est pas la place qui manque, wouah ! Le plafond culminait à plusieurs mètres. De somptueux nichoirs, des nids faits à partir des bois les plus précieux, des mangeoires remplies de graines locales et même un bassin d’eau de roche pour se détendre les ailes. La décoration de la suite était grandiose ; des mandalas de plumes couvraient les murs en guise de papier peint, sans outrage au reste des ornements. Tout était riche en couleur et les matériaux démontraient un véritable souci du détail. L’oncle ouvrit une armoire murale dans laquelle les attendait une série de coussins confectionnés à base de duvet de nouveau-nés récoltée lors de l’éclosion.

— Ce sont les coussins réputés les plus moelleux du monde ! Oh, P***** que je les aime ceux-là !

Il les disposa avec soin dans un grand nid-cigogne. Aatos fit de même sur un modèle plus petit : un nid-pigeon. Wali se contenta de la descente de nid du garçon. Aatos s’approcha de la grande baie vitrée. Le cirque de pierre sous ses pieds, la vue constituait le point fort de cette suite. C’est trop beau ! D’ici, ils surplombaient toutes les populations d’oiseaux. Pourtant, aucun cri ne leur parvenait. Lars et Aatos s’effondrèrent dans leurs nids. Tout était calme et volupté.

— Dis-moi Lars, est-ce que le Pélican parlait notre langue grâce à une gemme ? demanda le jeune homme, en brisant le silence.

— Oui.

— laquelle ?

— Communicatio Bestia, la gemme de communication animaux-humains.

— Et toi tu le connaissais déjà ?

— Oui, répondit l’oncle à nouveau en se tournant dans son nid.

— Comment ? demanda Aatos.

L’oncle soupira et sentait bien que son neveu ne dormirait pas sans explication supplémentaire.

— Tu n’as aucune idée de la fête qu’ils nous préparent. Promets-moi qu’après cette explication, tu dors un moment ?

— Promis !

— Bien. C’était il y a 86 ans, lorsque je suis descendu dans le cratère, je me suis arrêté une semaine complète au royaume des oiseaux. Ce lieu est absent des cartes pour des raisons de sécurité et de protection. Nous sommes au cœur du royaume nord de la Méditerranée : son influence s’étend de la mer des Baléares à la mer Adriatique et jusqu’à la hauteur des Alpes. Les nids qui peuvent être observés dans cette région sont en fait des avant-postes établis de manière stratégique. Les oiseaux qui naissent dans ces nids sont appelés Exterio, ils sont nés en dehors du royaume de parents n’ayant pu entamer le trajet pour rentrer au royaume. Plusieurs royaumes des oiseaux sont éparpillés autour du globe, chacun possède ses espèces, son gouvernement et ses règles. Édouard, Le Pélican, est considéré comme le roi du royaume nord de la Méditerranée. Il descend d’une longue lignée de dignitaires pélécanidés respectées. C’est lui qui présidera ce soir le grand buffet, une cérémonie d’accueil pour les amis de ce peuple…

Lars s’interrompit. Aatos et Wali dormaient déjà. Il sourit en observant son neveu si calme et épuisé. En se couchant, Lars ne put dormir tout de suite. Des secousses parcoururent son corps en entier.

— Je te rejoins bientôt, promis.

Lars touchait la carte à jouer qui se trouvait dans sa poche et il s’endormit.

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