L’épopée de Lars & Aatos

10 juin 2142

Un rayon de soleil puissant réveilla Wali. Quelques instants après, il se précipita sur Aatos pour le réanimer de sa nuit à coups de léchouilles. En voyant la scène, à peine levé, Lars se para de mauvaise humeur. Alors que le jeune homme et l’animal restèrent dans le lit encore quelques minutes, Lars se concocta une boisson chaude avec les restes laissés par l’ermite. Un fumet boisé s’empara de l’intérieur de la cabane. Aatos se leva et prépara spontanément la table pour le petit-déjeuner.

Toujours de mauvaise humeur et jamais content … Peut-être qu’en lui montrant que je suis capable de me débrouiller seul, il changera d’humeur.

Aatos avait envoyé Wali récupérer des branchages accumulés par le vent dans un creux de la falaise. À l’aide de sa carapace transformée en pince, le petit blairant fut très efficient dans cette tâche. Cela leur permit de cuisiner quelque chose de chaud.

Lars ne participa pas à ces tâches. En préparant sa boisson du matin, il était tombé sur l’un des carnets intimes de l’ermite dissimulé entre deux livres de recettes. Sous la forme d’une petite écriture claire, l’ancien occupant des lieux avait listé avec précaution ses expéditions dans la grotte cachée. À chaque date correspondait un aller-retour documenté. Les premières lignes de commentaires dataient de près d’un siècle. Lars réalisa que l’ermite avait eu connaissance de l’existence de la gemme et qu’il avait consacré sa vie entière à la chercher.

— Ce n’était pas la religion, mais l’avidité qui l’avait tué ! s’exclama l’oncle.

Une lueur de satisfaction apparut au fond des yeux : l’effet de la compréhension. Pages après pages, il était possible de lire l’avancement de l’ermite, grâce à ce carnet maintenu avec une méthodologie rigoureuse. Il avait creusé la roche des journées entières.

— Le tas de gravats en contrebas était en fait la conséquence de cette frénétique recherche !

Aatos regardait son oncle investiguer. Lars paraissait impressionné même s’il avait un sourire pendu aux lèvres.

— Attendre si longtemps pour une gemme naturelle est de la pure folie, ha ha ha ha …

Une note retint son attention après une trentaine de pages environ. Il l’a lu à haute voix :

“Ce lichen enflamme mes poumons et m’oblige à diminuer mes recherches. Après tant d’années, je sais que je m’approche et me voici condamné à raccourcir mes recherches à leur simple expression. J’aurais peut-être dû rentrer avec les membres de l’expédition Neo-Creatura.” 

 

Lars eut le souffle coupé dans un premier temps.

— Neo-Creatura ! … Impossible ! Cela veut dire que l’ermite est un scientifique …

L’oncle ne revenait pas d’avoir lu ce nom, il semblait à présent plus excité que jamais. Ses jambes faisaient trembler la table à laquelle il était assis ; le goût de l’aventure s’inscrivait sur son visage.

— Et la suite du journal mentionne un remède au problème de poumons du scientifique :

“Je crois avoir trouvé le moyen de tenir plusieurs minutes à l’intérieur de cet enfer. Cet onguent à base de baies de lierre semble avoir un effet protecteur contre les effluves nocifs.” 

Et sur le recto, une nouvelle note de la main de l’avide chercheur :

“Eurêka ! Les graines contenues dans les baies du lierre me permettent de tenir la moitié d’une heure. L’application sous les narines semble être d’une grande efficacité”. 

Lars poussa la curiosité jusqu’à la page 128 : la dernière page. Aatos était maintenant assis en face de lui, Wali sur son épaule. Son oncle était un spectacle à lui tout seul.

— L’écriture a changé. De claire et bien ordrée, elle est passée à désordonnée et décousue. C’est un bon indice de l’état d’esprit du scientifique. Attends, je te lis la suite, c’est génial :

“Dans un monde où les épices puissantes ordonnent le chaos de l’être, c’est à mon âme que je remets les fruits de mon long jeûne. Que puissent les gemmes ancestrales me faire accéder à un au-delà. Moi, habitant des roches, roi du cratère, laisse-moi terminer ma quête avant je périsse.” 

Puis plus loin :

“Si ces vertiges saisissants sont les manifestations de ton existence, je t’implore, laisse-moi terminer ma quête. Sans carburant ni foi, je ne serai pas à même de vivre plus longtemps. Je te prie, je te supplie, laisse-moi terminer ma quête.” 

— Enfin, là derrière remarque date de 92 ans !

“Mes réserves de nourriture sont épuisées et je n’ai toujours pas trouvé la gemme de la roche ancestrale, Rocca. Je n’ai maintenant plus le choix, il faut que je descende au fond des abîmes. Sortir la Rocca des ténèbres. Je t’en prie, pardonne-moi.” 

Lars montra le carnet à Aatos. Cette dernière remarque semblait avoir été écrite avec une frénésie maladive tant les tremblements se ressentaient dans la calligraphie. Des chemins étaient tracés sur l’envers du livre. Quelques croix barraient certaines possibilités.

— Le scientifique nous a facilité la tâche en gardant une trace de chacun de ses essais !

 

L’oncle resta à table pour étudier le plan pendant plus d’une heure. Son neveu et Wali attendaient la suite de l’aventure avec impatience. Trop absorbé par l’étude des écrits du chercheur, Lars leur avait dit d’attendre sans donner d’autres explications. Après une dizaine de minutes, ils sortirent profiter du soleil en patientant. Aatos scrutait le cirque rocheux depuis le plateau. Wali, calme, était assis à côté de lui.

— Tu sais, il n’est pas méchant mon oncle, dit-il au petit blairant. Il est juste dans son monde… C’est comme si, dans sa tête, ça n’arrêtait pas de tourner, ajouta-t-il en imitant le mouvement d’un cercle proche de sa tempe. Et il est passionné, ça, c’est sûr ! D’ailleurs, il a répété plusieurs fois “c’est important Aatos”,”,car c’est pour être prêt », “bla, bla, désengagés…” imita-t-il l’oncle. Mais au fond, je pense qu’il veut autant que moi que je retrouve mes parents. Après tout, ma mère est sa sœur… Je l’aime bien et, maintenant, je lui fais confiance, termina-t-il, pensif.

Wali écoutait son compagnon même si cette tirade ne s’adressait pas à lui. Cela en avait juste la forme.

— Et puis l’autre soir, il m’a bien fait comprendre que j’étais un garçon capricieux alors que ce n’est pas vrai, je vais lui montrer ! termina-t-il.

Lars avait touché l’ego du jeune homme en le provoquant la veille du départ. L’oncle réapparut.

— J’ai un plan ! déclara Lars confiant en ouvrant la porte de la cabane. Venez à l’intérieur, je vous montre.

Sentant que quelque chose d’intéressant se préparait, Aatos et son compagnon se précipitèrent à l’intérieur.

— Dans ce livre, dit l’oncle en agitant le carnet dans sa main droite, se trouve la solution pour récupérer la Rocca, gemme de roche naturelle. Il y a un explicatif pour éviter l’empoisonnement à l’acide vulpinique, déclara-t-il formel.

Lars prit une jarre remplie de graines séchées de baies. Avec un pilon et un mortier, il écrasa les graines du lierre jusqu’à l’obtention d’une fine poudre. Ensuite, toujours sous les yeux de son neveu et du blairant, il mélangea le toute avec de la résine du châtaigner commun qui poussait sur la paroi, trouvée dans le tiroir du bas de la cuisine, et cuite au préalable. Comme prévu dans la recette, il obtint un onguent encore tiède. Il le laissa refroidir et en profita pour expliquer son plan.

— Aujourd’hui, nous récupérerons la Rocca, débuta-t-il. Nous prendrons le chemin suivant dans la grotte. Lars ouvrit le livre à la page sur laquelle étaient tracées les galeries à prendre. Puisque mon radar ne semble pas fonctionner précisément sous l’épaisse couche de roche, nous sommes condamnés à suivre les instructions de ce vieux fou de scientifique.

— Mais c’est dangereux ! protesta Aatos.

— Et bien, si tu veux récupérer toutes les gemmes et espérer revoir tes parents, il va falloir t’endurcir mon petit, répondit, autoritaire, l’oncle pour éviter d’autre question. L’onguent apposé sous nos narines nous permettra d’être immunisés pendant une demi-heure des effluves d’acide vulpinique, précisa-t-il encore. Enfin, nous utiliserons une technique pour éviter de nous perdre.

Lars saisit par le coin le tapis de lierre tressé et détacha un fil d’environ un mètre, sans le sectionner.

— Le fil d’Ariane avait été utilisé par Thésée pour échapper au Minotaure ; nous ferons de même dans ce dédale infernal, termina-t-il sur un ton docte.

Ils achevèrent de défaire le tapis tressé de lierre lorsque l’onguent arriva à une température convenable. Chacun mit une couche suffisante au-dessus de sa lèvre supérieure. Wali, son faciès similaire à ceux des bébés blaireau, était orné d’une trace verte pâteuse. Ses poils noirs et blancs étaient collés tout autour de son museau. Le regard chafouin du petit animal terminait de lui donner cet aspect adorable qui plaisait tant à Aatos. Ainsi paré, le trio était prêt à partir en quête de la gemme de roche, rocca. Lars ouvrit la porte et alluma le dispositif d’éclairage. Ils se regardèrent. Personne ne parlait. Une certaine tension mêlée à de l’excitation était palpable. Lars ouvrit la marche et se dirigea vers l’inconnu.

Cette exploration à la recherche de la Rocca n’avait rien de secondaire. Au contraire, elle avait son importance tant dans l’expérience qu’elle permettait d’engendrer que pour récolter la totalité des gemmes.

L’oncle avait avec lui une lourde bobine végétale posée sur l’épaule droite ; les restes du tapis se transformaient ainsi en fil d’Ariane au cours de leur avancée. Les parois étaient moites. L’ambiance générale était humide et tiède. Lars s’enfonçait dans le noir de façon prudente. Il était attentif et aux aguets. Le moindre bruit de goutte suintant de la roche était analysé et traité afin d’écarter un éventuel danger. Ce n’est pas la première fois qu’il chasse une gemme naturelle, ça se voit. C’est fou comme chacun de ses mouvements semble calculé …

  En trouvant cette gemme naturelle, cela évitera de devoir affronter un porteur pour la récupérer ou de la gagner aux cartes. Surtout que les gemmes de roche, rocca, étaient peu nombreuses et, de ce fait, détenues par les plus puissants, commenta Lars pour rassurer son neveu du bien-fondé de cette entreprise.

La gagner aux cartes, c’est quoi cette histoire encore ? Bon, c’est pas le moment de demander cela … Après une cinquantaine de mètres, le trio fut confronté à un premier croisement. Le choix était facile, car en plus d’être indiqué dans le livre, un éboulement avait eu lieu sur la mauvaise voie : le résultat d’un manque de charpentes.

— Notre ermite-scientifique, au vu de la rareté du bois sur la falaise, n’a pas laissé de charpente dans les mauvaises voies. Cela nous aidera dans les moments où les instructions du livre ne sont pas claires, déclara Lars.

Ils prirent donc la voie de droite. Lars déroulait toujours le fil d’Ariane en continu. Aatos avait confiance en son oncle et cela l’aidait à affronter sa peur. Pourquoi ai-je de la peine à respirer ? Il ressentait tout de même une pression au niveau du thorax : le poids de l’angoisse. Wali, quant à lui, avançait sans crainte. Mais l’onguent sous son museau le dérangeait. Il devait se contrôler pour ne pas l’enlever.

Un croisement à trois voies apparut quelque deux cents mètres plus loin. À nouveau, il était aisé de connaître lequel était le bon en observant attentivement : l’un d’eux comportait des rails en bois et un chariot chargé de gravats. C’était le signe qu’une activité y avait eu lieu. De plus, le dispositif d’éclairage suivait ce tracé. Nous avons de moins en moins d’éclairage. Est-ce que Lars s’en ai rendu compte ? Un rapide coup d’œil au livre confirma l’hypothèse. Ils s’engagèrent donc sur la voie où se trouvait le chariot.

— Faites attention, le sol est très accidenté ici, rien à voir avec le début, mis en garde Lars.

Sa voix était étranglée, mais ne laissait transparaître aucune peur. C’était plutôt une concentration intense qui paraissait l’animer à cet instant. Ses deux compagnons le suivaient en silence. L’atmosphère devenait de plus en plus chaude. L’esprit de Lars était en ébullition :

— Je ne comprends pas … Comment a-t-il pu passer toutes les journées de sa vie à creuser la roche dans de telles conditions ? Certaines quêtes de recherche de sens me dépassent, dit Lars sans vraiment s’adresser à son neveu.

Le trio arriva à nouveau à une intersection. Quelque six minutes s’étaient écoulées depuis qu’ils étaient entrés dans la grotte. Il leur en restait plus du double avant que l’onguent ne cesse de faire effet. Mais, il fallait compter le retour dans le temps imparti.

Ils suivirent cette fois-ci le plan du livre. Parmi les quatre voies partant de l’intersection où ils se trouvaient, le croquis indiquait la troisième voie, en direction de l’est. Ils s’y engagèrent avec prudence, le plafond étant plus bas qu’ailleurs. Plus de chaleur, moins de lumière … Il faut que je reste calme. Aatos, respire …

— Tout va bien se passer, nous ne sommes plus très loin, dit l’oncle pour rassurer son neveu.

Il sent ma peur … Lui-même semblait douter du bien-fondé de cette exploration lorsqu’il fallut se mettre à genoux pour passer une encablure. Le plafond du passage équivalait à deux fois la hauteur d’homme. Selon le carnet de bord, ce couloir débouchait sur une salle de plusieurs mètres carrés.

— Rendez-vous dans une grande cavité après ce passage étroit ! lança Lars pour encourager son neveu.

L’oncle tenait toujours le rouleau de lierre lorsqu’il s’élança. La réserve de fil végétal avait perdu de sa masse suite à la distance parcourue.

Cela faisait douze minutes que le trio était dans la grotte. Il leur restait donc seulement trois minutes pour trouver la Rocca. Une fois arrivés dans cette nouvelle salle, six passages étaient possibles. Le plan était clair, c’était la quatrième voie qu’il fallait emprunter cette fois-ci. Ils prirent donc ce chemin et quelques mètres plus loin, le groupe se trouva dans une nouvelle salle, plus petite, agencée sur deux étages. Cette galerie comportait davantage de lichen toxique que les précédentes.

— Mmmh, tu entends ce fin bruissement d’écoulement d’eau, Aatos ? Si une partie du chemin est inondé, ce sera la fin de notre exploration.

Cette humidité … Qu’arrive-t-il à ma respiration ? … Rester calme, il faut rester calme ! Aatos avait le sentiment d’inhaler les vapeurs toxiques malgré la protection de l’onguent. Wali montrait des signes de fatigue. Pauvre Wali, ce n’est pas du tout un environnement approprié pour lui. Lars se contenait de façon admirable.

— Pas de temps à perdre, nous poursuivons la descente, ordonna Lars sans montrer de signes de faiblesses.

La galerie suivante était étroite. Ils évoluaient en marchant de côté à présent. Un rétrécissement fit suffoquer un peu plus l’équipe.C’est bientôt terminé … Il sait ce qu’il fait. Lars passait avec peine son imposante carrure. Au mieux, il restait cinq centimètres de marge de manœuvre à la hauteur du bassin en avançant de travers. Ils entendaient le bruit d’écoulement de manière plus prononcée à présent. Le plafond suintait en plusieurs endroits, ce qui ajoutait une sensation désagréable à l’ensemble. Lorsqu’ils s’extirpèrent enfin de ce fin couloir, le trio découvrit une nouvelle salle : étalée sur dix mètres, elle n’était pas indiquée sur la carte ; enfin, pas de la sorte. Il manquait un renfoncement tout en rondeur qui avait disparu dans un éboulement. Le plan indiquait de continuer tout droit, ils étaient toujours sur la bonne voie. Cependant, la structure de bois construite à cet endroit retint l’attention de l’oncle. Elle était renforcée en comparaison des autres galeries.

— L’ermite avait dû remarquer une structure de la roche plus friable à cet endroit, fit remarquer Lars en montrant le plafond de la galerie.

Comment voit-il encore dans cette pénombre ?

— Il ne reste plus que deux salles et cinquante mètres avant d’atteindre les dernières instructions du plan, commença l’oncle. La Rocca doit se trouver dans les environs de cette galerie-ci. En marchant vite et en retenant notre respiration vers la fin, nous avons une marge de deux à trois minutes face aux vapeurs toxiques, continua-t-il, toujours sans s’arrêter d’avancer. Une fois arrivés, nous aurons que très peu de temps à disposition pour improviser, avertit-il enfin.

À nouveau, leur chemin se rétrécissait. Mais cette fois-ci, c’était également en hauteur. Ils durent se mettre à quatre pattes. Les parois frottaient leurs flancs. Voilà dix minutes qu’il évoluait dans une pénombre qui se muait en obscurité à présent.

— Je … Je ne me sens pas bien, Lars, gémit Aatos.

Il avait vécu cet aveu comme une défaite. Aatos s’était pourtant promis de surmonter sa peur de l’étroit, de l’étouffant, de l’engoncé, mais il avait craqué.

— Calme-toi et respire. Fais le vide, mange ta peur, gamin ! conseilla son oncle dans un écho lointain.

Il ne pouvait pas tourner la tête pour s’adresser à son neveu de façon directe. Aatos s’exécuta. Il fit le vide complet. Son cœur décèlera. Le rythme cardiaque ralentit. Aatos ressentait un apaisement parvenir du fond de ses tripes, à présent. La présence de son oncle le rassurait. Mais alors qu’il arrivait à la fin de la troisième expiration, il sentit ses mains vibrer. Son pouls s’accéléra. La sueur dégoulinait le long de ses tempes et une bouffée de chaleur – de l’angoisse pure – remontait en sueur. Les parois de la galerie se parèrent de fissures. Oh non … Oh non ! Ce n’est pas possible !!

— Vite, en avant ! ordonna Lars.

Aatos était pétrifié. Wali, qui fermait la marche, essayait de le pousser par-derrière pour l’amener à avancer. Des petites pierres se détachèrent de la paroi. Rien à faire, le jeune garçon était mortifié, honteux de ne pouvoir avancer. Il pleurait à chaudes larmes alors que son oncle lui hurlait de le rejoindre. Un pan entier de la galerie céda. C’est terminé … Lars avait, entre-temps, atteint l’extrémité de l’étroite galerie et s’était retourné pour voir son neveu. Wali protégeait de sa carapace l’autre extrémité pour éviter que les gravats les ensevelissent vivants. Le garçon tendit le bras. Dans un accès de dernier espoir, il invoqua sa gemme de rêve, somnium. Aatos entra en un instant dans une transe mystique. Sa concentration était maximale. Ses yeux semblaient s’illuminer dans la pénombre tant son voyage était intense. L’oncle observait la scène avec calme. L’éboulement s’était arrêté.

Au-delà de la rivière, dans la nuit.

Une course contre le temps pour découvrir ma puissance.

D’autres se sont tués pour moi.
Arrange la roche à ton avantage…

Lars savait que cela ne servait à rien de paniquer. Son neveu avait peut-être une solution en activant sa gemme de rêve, somnium. La vision de Aatos dura huit secondes tout au plus, mais lorsqu’il revint à lui, il donnait l’impression d’avoir pris plusieurs années.

— Wali, suis-moi ! J’ai vu où est la Rocca dans mon rêve, mais nous n’y arriverons jamais si nous ne nous dépêchons pas. Il n’y a pas une minute à perdre, ordonna Aatos.

Aatos fonça en direction de son oncle. Lorsqu’il se redressa devant lui, son regard était le même que lors de la confrontation avec l’entité dans la forêt.

— Il faut descendre vers la rivière souterraine, maintenant, ajouta encore Aatos en prenant les devants. J’ai vu l’emplacement de la Rocca dans mon rêve !

Ils atteignirent une galerie descendante de laquelle émanait un bruit de cascade lointain. Leurs pas battaient le sol, le trio évoluait à présent en courant, porté par la verve de Aatos. L’oncle avait laissé son fil d’Ariane en amont pour être plus rapide. Treize minutes s’étaient écoulées. À ce niveau de l’exploration, la lumière s’était définitivement retirée. Chaque pas était fait à tâtons, Lars suivait son neveu en le tenant par la main. Wali était venu se jucher sur l’épaule du jeune homme. Au point le plus bas de la grotte, ils entendirent une rivière souterraine qui s’offrait à eux en contrebas, perpendiculaire à la galerie de laquelle ils venaient. C’était le passage de la source de la rivière du cratère, Ovest. Trois, peut-être quatre mètres, nous séparent du torrent, bien …

Quatorze minutes.

— Lars, éclaire le lieu avec ta gemme de flammes, flamma.

L’oncle s’exécuta, surpris et amusé de voir son neveu prendre les choses en main. Malgré l’urgence de la situation qui demandait un sans-faute, il se laissa faire. Il produisit une flamme de six mètres en direction de l’amont de la rivière, tel un lance-flammes, dans la cavité plongée dans le noir. Aatos continua :

— Wali, crée une passerelle jusqu’à ce point, ordonna le jeune en montrant un petit plateau en aval.

Le blairant d’exécuta. À peine la passerelle mise en place, Aatos monta et courut dessus pour atteindre l’autre versant. L’oncle le suivit tout en continuant d’éclairer la grotte tel un funambule pyromane au-dessus de flots chaotiques. Wali traversa en se balançant d’un versant à l’autre, utilisant sa carapace comme des échasses.

— Passerelle, ici ! continua d’ordonner Aatos, en montrant du doigt l’autre versant, une dizaine de mètres plus hauts.

Le petit animal obéit à nouveau aux ordres de Aatos. Le trio traversa une nouvelle fois au-dessus des flots, dans le sens par lequel ils sont venus, mais à un niveau supérieur. Une véritable troupe de cirque souterraine : Aatos en dompteur d’animaux, Lars en cracheur de feu et Wali en passerelle vivante.

— Suivez-moi ! tonna Aatos en grimpant à même la roche.

Lars préserva sa gemme de flammes, flamma, et arrêta d’éclairer le groupe qui se retrouva une nouvelle fois dans le noir complet. Aatos accéda, trois mètres au-dessus, à une nouvelle cavité. Le jeune homme tendit la main à ces comparses.

L’étau se resserrait : la barre des quinze minutes était franchie.

— Nous continuons tout droit, il faut que tu passes devant, ajouta Aatos, essoufflé.

Un mélange d’angoisse, d’excitation et d’empressement se distinguait dans sa voix. Après une course en montée d’une centaine de mètres dans la noirceur de la montagne, ils arrivèrent dans une salle gigantesque. Du moins, ils le savaient grâce à la réverbération de leurs voix. Les ondes rebondissaient dans un écho creux et lointain. Lars comprit qu’il devait prendre le relai à présent puisqu’il réactiva sa Flamma. Il augmenta sa flamme jusqu’à lui faire atteindre une taille de plusieurs dizaines de mètres. Le feu lécha le haut des parois et réveilla une nuée de chauves-souris qui se mirent à tourner dans tous les sens. Les parois étaient recouvertes de lichen toxique. Mes yeux, ça brule … Je dois tenir bon ! Un tas de gravats se trouvait au fond d’un trou sur leur gauche ; c’était le haut de la jonction avec l’autre galerie qui s’était effondrée. Lars réduisit la flamme, il avait atteint le maximum de son utilisation. Le groupe continua d’avancer dans la salle jusqu’à atteindre une forme sur le sol. Aatos eu un mouvement de recul en découvrant qu’il s’agissait d’un squelette.

— C’est l’ermite ! s’exclama le jeune homme.

Même s’il s’y attendait, la vue de la dépouille desséchée le surprit. Dans le creux de ce qui restait de la main droite du chercheur se trouvait une pierre grise : La Rocca. L’ermite avait donc fini par la trouver, mais n’avait pas pu la rapporter. Aatos couru jusqu’aux ossements ramassa la pierre. À peine l’avait-il en main qu’il l’activa. Le regard de Aatos était rempli de concentration. Lars ne pouvait le voir dans cette grande salle à présent plongée dans l’obscurité. Ce fut lorsque les yeux de son neveu brillèrent à nouveau qu’il en eut la confirmation. Aatos dirigea l’onde de la Rocca au plafond.

Dix-huit minutes s’étaient écoulées à présent ; ils ne pouvaient plus revenir sur leurs pas sans subir le même sort que le chercheur.

— Ne bougez surtout pas, ordonna Aatos.

Le plafond se mit à trembler, des cubes de vingt-cinq centimètres d’arête commencèrent à virevolter dans les airs. Certains se posaient déjà au sol. Les autres s’entassèrent au-dessus des premiers. Lars toussait fort, le lichen atteignait ses poumons. La concentration de toxique dans cette salle est trop élevée, il faut que je me dépêche …

 

— Tenez bon ! Je conçois … kof kof … une sortie comme dans mon rêve. L’air sera de nouveau sain … kof kof … et respirable dans les parois, dit le garçon entre deux quintes de toux.

Mais ce que le jeune homme omit délibérément était qu’ils ne pouvaient pas trainer pour autant, sous peine de voir l’effet de la Rocca cesser. Je dois réussir cette épreuve. Nous ne pouvons rester coincés dans la roche … En quelques secondes, un escalier fut construit dans le noir total. Les blocs prélevés avaient laissé la place à un tunnel creusé de façon parfaite quelques mètres plus haut.

— Suivez-moi, c’est bon !

Le trio monta en direction de la nouvelle sortie en se donnant la main. Les chauves-souris tourbillonnaient à la hauteur de leurs visages au fur et à mesure de leur ascension : dérangées et dérangeantes. Ce fut en arrivant dans le tunnel que le génie de l’enfant se révéla à son oncle. Il avait imaginé une rotation huilée, parfaite ; trente-deux blocs de la même taille que ceux qui avaient formé l’escalier étaient détachés toutes les trois secondes. Ils passaient au-dessus de leur tête et allaient se positionner derrière eux. Grâce à la Rocca, Aatos inventait le tunnel-mouvant. Ils leur suffisaient de suivre le jeune homme pour éviter que les blocs reviennent sur eux. Le groupe évoluait ainsi au cœur de la roche, toujours dans l’obscurité, dans une course folle dans laquelle les volutes d’acides vulpinique étaient, à ce moment derrière eux. Cette scène me rappelle quelque chose … Les cubes se mouvaient à la manière d’un jeu vidéo que Aatos avait connu par le passé.

Quatre minutes avaient suffi au trio pour parvenir à la première galerie. Le jeune homme leur offrit le luxe d’un escalier en colimaçons pour atteindre cette dernière. Le trio ouvrit la porte qui les séparait de la cabane après avoir coupé l’alimentation de l’éclairage à la poix. En refermant la porte derrière eux, Aatos s’évanouit.

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