L’épopée de Lars & Aatos

10 juin 2142

Le lendemain, sous un soleil de plomb, le cratère exsudait son humidité de la veille. Le trio était prêt à partir. Un dernier coup d’œil fut jeté sur la carte de l’oncle. Le premier arrêt prévu par Lars se trouvait au point dit de la cabane de l’ermite. Des années avant que l’oncle ne vienne dans le cratère, un ermite avait vécu au sein de la falaise.

— Tu verras Wali, ça va être bien, dit Aatos de façon enfantine à son compagnon.

Le blairant réagit en jappant.

— Tsss …

Lars, qui s’était réveillé de mauvaise humeur à cause d’un sévère mal de crâne, peinait à cacher son inimitié envers Wali. Le petit animal avait grogné et sifflé l’oncle en retour :

— Grrrrrrrr …

Il était évident que ses sentiments envers le vieillard étaient réciproques.

— Vous devrez vous entendre, vous êtes mes seuls amis, s’imposa Aatos.

Le jeune homme s’en voulait d’avoir mentionné la chasse de Lars dans le potager. Le blairant adulte qui saccageait le potager de Lars était enfaite l’oncle de Wali. À partir de ce moment, une tension était apparue au sein du trio.

— Mouais … Il est temps de partir maintenant, ordonna l’oncle.

Le trio traversa le jardin. Lars n’eut aucun regard pour la cabane qu’il avait construite. Le petit groupe suivit la rivière en direction d’un grand tas de gravats. C’était les restes d’un éboulement. L’oncle avait choisi cet itinéraire pour éviter quelques centaines de mètres d’escalade. La paroi était si compliquée à franchir que la moindre aide était la bienvenue. Ce fut une fois arrivé au sommet du grand monticule que le trio s’encorda. Les nœuds avaient été répétés maintes et maintes fois. Du nœud de huit au nœud de chaise triple, son oncle avait insisté pour enseigner à Aatos toutes les techniques permettant de franchir ces falaises. Les cordages avaient été contrôlés et sélectionnés avec beaucoup de soin par Lars. Il ne voulait laisser aucune place au hasard dans cette périlleuse ascension. Avec plus de trois mille mètres de dénivelé, au minimum, sur dix jours d’escalade, il ne valait mieux pas laisser de place à la chance dans de telles conditions.

— Contrôle ! dit Lars à son neveu, de manière sèche.

L’oncle était très concentré. Aatos s’exécuta et passa en revue le harnais de Lars et les différents nœuds. Le jeune homme contrôla les mousquetons plusieurs fois. Il fit de même avec Wali à qui l’oncle avait confectionné du matériel sur-mesure. Son oncle trouvait ridicule d’utiliser autant de temps et de ressources pour faire grimper un blairant. Il avait ajouté en rigolant qu’on ne jouait pas avec la nourriture. Cela n’avait pas fait rire Aatos. De toute façon, Lars avait vite compris que Wali agissait comme une motivation supplémentaire pour Aatos.

À son tour, l’oncle contrôla l’équipement de son neveu. Il fut surpris de la précision avec laquelle Aatos s’était harnaché. Il paraissait fier que, finalement, son neveu prît au sérieux cette aventure et qu’il ne se défila pas. Il était pourtant évident que la peur se ressentait dans chaque pore de sa peau. Mais Aatos avait suivi les conseils succincts de l’oncle qui avaient le mérite d’être clairs. Ceux-ci pouvaient ce résumé à une phrase lancée la veille : « Sors-toi les pouces et arrête de geindre. »

Aatos était le premier de cordée. Il gravit quelques mètres sans problème. Lars avait prévu que l’ascension durerait jusqu’à la fin de la journée. Sur la carte de Lars, il était indiqué que trois cents mètres séparaient la cordée du premier plateau où ils pourraient passer la nuit. Malgré l’aide supplémentaire de sa carapace transformée en pic et en soutien, Wali n’était pas à son aise. C’était un animal de la forêt, il n’était pas dans son élément. La progression s’en trouva ralentie. Lars tut sa colère afin d’éviter un moment d’inattention au groupe. Pourtant, le trio gravissait, mètre après mètre, la paroi rocheuse. L’entraînement accéléré avait porté ses fruits puisque Aatos avançait sans fléchir. Une pause fut improvisée une centaine de mètres avant l’arrivée. Le soleil débutait déjà sa descente en cette fin d’après-midi. L’oncle sortit quelques sucres rapides sous forme de fruits secs. Personne ne disait mot ; tous observaient le cirque rocheux, la grande forêt, la rivière, la clairière, la cabane de Lars et même les restes du chêne au loin. À cet instant, une sérénité envahissait la cordée. Il n’y eut aucun regret exprimé et aucune volonté de revenir sur ses pas. Le groupe reprit l’ascension.

Alors que le soleil se couchait, Aatos posa le pied sur une plate-forme d’une quinzaine de mètres carrés. Côté falaise, une sorte de vieille remise était adossée à la roche. Au bout du plateau, de chaque côté et faisant face au vide, se trouvaient deux énormes souches d’arbres dont les racines semblaient plonger profondément dans la roche.

— Couper la branche sur laquelle on est assis, dit l’oncle après s’être hissé sur le plateau alors que Aatos et Wali regardaient les souches de trois mètres de diamètre chacune.

— Vous voyez la différence de couleur sur la paroi ici, continua Lars en pointant du doigt près de deux cents mètres de surface rocheuse. Eh bien, c’est la preuve que deux gigantesques arbres poussaient à cet endroit. La différence de couleur est due au manque de soleil durant des centaines d’années.

L’oncle monta sur une des deux souches et observa son neveu et Wali. Il expliqua que la personne qui habitait autrefois ici avait, petit à petit, grignoté le bois et les fruits de ces arbres pour construire son abri. Si bien qu’un jour, il avait épuisé toutes les ressources disponibles ici.

— Pour moi, il est certainement mort de faim. Sa peur de changer de lieu, sous des prétextes fallacieux de quête religieuse, transforma son lieu de retraite spirituelle en tombeau, continua de raconter l’oncle.

— Et comment tu sais cela … demanda Aatos, dubitatif.

— J’ai fouillé le lieu il y a des années, c’était inscrit dans ses journaux de bord. Un gars qui se prenait pour un ermite spirituel, rien d’intéressant … répondit Lars, indolent. Le plus comique était le dernier journal de bord. Cette sorte d’ermite désaxé avait épuisé ses ressources et se savait condamné, mais ne fit rien. J’imagine que, terrifié par la peur de vivre, il avait sombré dans la religion. C’est ce qui le tua, termina l’oncle, rempli de mauvaise foi, en sautant de la souche sur laquelle il se trouvait. Venez, nous allons visiter l’intérieur.

Le trio entra dans la cabane de fortune construite dans un creux de la falaise. L’ermite avait profité de la typologie particulière du lieu pour monter une simple paroi en bois et ainsi créer un espace de vie. De l’extérieur, rien ne laissait présager ce que le groupe trouverait derrière.

En ouvrant la porte, Aatos fut surpris en découvrant l’intérieur, certes poussiéreux, mais décoré avec détails. Il observait les lambris et les charpentes en bois gravés à chaque endroit. Une table et des bancs, en bois eux aussi, avaient été disposés dans le fond à droite. Une bibliothèque occupait le coin gauche et une porte avait été construite avec soins dans la roche à même la falaise. Enfin, juste avant la table, se trouvait un espace de travail qui faisait à la fois office de cuisine et d’atelier. Chose étonnante, la paroi en bois était constellée de petits encarts laissant passer la pénombre du soir. Cela avait été réalisé avec de petites plaques de sèves transparentes. Ils allumèrent le dispositif de la lampe alimentée à la poix. L’ermite avait exploité l’ensemble des deux arbres comme l’avait confirmé Lars. Lorsque l’oncle s’approcha de la bibliothèque qui se trouvait côté falaise, son bracelet de vie se mit à vibrer. C’était son radar à gemmes qui s’activait.

— Tiens, tiens, tiens … Il semblerait qu’une gemme se cache dans le coin, dit l’oncle. Voilà qui est très intéressant, ajouta-t-il enjoué. Elle se trouve ici, termina-t-il en montrant du doigt la falaise à l’intérieur de la cabane.

— Il faut creuser alors ? demanda Aatos

— C’est possible… Lars inspectait la paroi en passant ses doigts sur les aspérités de la roche.

Il écoutait son neveu à peine, aspiré par ses observations.

— Mais comment allons-nous faire pour la récupérer sans outils alors ?

— … Mmmh, tu me laisses faire, s’il te plait, dit-il avec un air concentré.

*CLIC*

— P*****, mais quel C** j’ai été de ne pas avoir vu cela. J’aurais pu mieux fouiller …

*CLIC*
*CLIC*
*CLIC*

Le jeune homme observait son oncle activer un mécanisme caché dans la roche.

*CLIC*

— Wouha !

— Haaa voilà … Le regard de l’oncle s’était illuminé, satisfait d’avoir compris le fonctionnement de cette porte dissimulée.

Malgré la nuit tombante et la fatigue générale, le trio ouvrit avec difficulté la lourde paroi rocheuse ; le mécanisme était grippé. À peine ouverte, une odeur âpre parvint aux narines des comparses.

— Heee Hoooo… Heeeee Hoooooooo … Heeeeeeee Hoooooooooooo, l’acoustique est fascinante, dit l’oncle étonné.

— C’est là que se trouve la gemme ?

Au même moment, Wali se mit à grogner. L’oncle alluma un dispositif mural alimenté à la poix, sans répondre à son neveu. Lars était aux aguets et cet endroit ne lui disait rien de bon.

— Là où se trouvait une gemme à son état naturel, c’était bien souvent le signe de dangers, dit l’oncle. J’ai remarqué cette constante au cours de mes années de chasse de gemmes lorsque je faisais encore partie de la faction des naturalistes. C’était des chasseurs de gemmes qui possédaient la particularité d’acquérir toutes leurs gemmes à l’état naturel, en chassant les entités porteuses de gemmes.

Aatos déglutit sa peur alors qu’il découvrait une nouvelle facette de son oncle.

— Attention, ça va chauffer, tonna Lars qui avait activé sa gemme d’étincelles, scintilla, sans attendre de réponse des autres.

Une simple étincelle maîtrisée embrasa l’impressionnant dispositif. De la poix liquide s’écoulait dans une rigole en bois tout au long de la grotte. Cela permettait d’acheminer la lumière suffisante au cœur de la montagne.

— Wow !

Aatos recula d’un pas par réflexes.

Wali grognait encore plus en direction des murs tout en reculant. L’oncle observait le petit animal qui faisait de drôle de signes avec sa carapace. Le blairant insistait sur le lichen qui envahissait la grotte. Lars s’approcha de plus près et prit entre son pouce et son index un peu de matière végétale agglomérée contre le mur. Il marqua quelques secondes, puis cria.

— Leutharia Vulpina ! Sortez tous les deux, vite !

Le trio décampa en l’espace de quelques secondes. La porte refermée, ils reprirent leurs souffles.

— Venez dehors, ordonna l’oncle.

Aaots et Wali s’exécutèrent. L’oncle referma la porte derrière eux.

— Ce lichen est une espèce mortelle pour l’homme, expliqua l’oncle en montrant la petite touffe verte qu’il avait entre ses doigts. Dans un endroit clos, comme l’est la grotte, ces végétaux produisent suffisamment d’acide vulpinique et de gaz associés pour étouffer un ours adulte.

La nervosité de l’oncle tranchait avec le calme qui se dégageait du cratère. Son neveu et le petit animal retrouvaient leurs souffles au fur et à mesure qu’ils se calmaient.

— Si la grotte est toxique, on abandonne la recherche de gemmes ? demanda le jeune homme.

— Jamais on abandonne une gemme naturelle, jamais ! répondit l’oncle passionné en se dirigeant à nouveau vers la cabane.

Ses deux comparses lui emboitèrent le pas. Lorsqu’ils ressortirent, le cratère paraissait enchanté. Les étoiles scintillaient et la lune décroissante ondoyait d’un bleu pâle. Une légère brise bienvenue vint caresser leurs visages. Le silence était total.

— Il est tard et tout le monde est fatigué, au lit maintenant, dit l’oncle en rompant le calme ambiant.

Le trio s’organisa à l’intérieur de l’abri. Le banc se transforma en petit lit. Aatos dormit dessus alors que l’oncle se coucha directement au sol, sur une sorte de tapis tressé en lierre. Wali dut dormir dehors, seul, sur ordre de Lars. Le jeune garçon avait pourtant protesté, mais le blairant n’avait pas insisté davantage. Il avait l’habitude de dormir à la belle étoile. Demain, ils découvriraient ce que cachait la porte secrète.

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