L’épopée de Lars & Aatos

Chapitre 37

18 juin 2142

— Si tu me touches, je te tue ! dit-elle en italien.

Dans son filet, la jeune fille se débattait et invectivait Aatos.

— Mais … je ne veux pas te faire de mal.

Aatos s’approcha un peu plus de cette fille prise dans son piège. Wali grognait derrière lui.

— Aatos, stop ! Qu’est-ce que tu fais, B***** !? On ne peut pas te laisser seul un instant, hein !

Lars sauta d’un arbre. Il atterrit dans la clairière en prenant soin de plier les genoux en touchant le sol parsemé d’herbe. C’était le milieu de la nuit, il faisait frais pour un mois de juin. La lune reflétait ses reflets bleus sur l’herbe. Une légère brume tamisait le lieu.

— Mais, j’ai … J’ai fait un piège et …

— N’aie pas peur, nous ne te voulons aucun mal.

Lars n’écouta pas Aatos. La jeune fille se débattait toujours.

— Sortez-moi de là !

La fille tremblait de peur. Elle parlait à présent en français avec un fort accent.

— Oui, je vais le faire …

Lars s’approcha sans geste brusque de la fille. Il détacha le nœud qui refermait le filet. La fille bondit en arrière, à quelques centimètres des buissons de ronces qui entouraient la clairière. Une lame apparut au creux de sa main.

— Doucement, calmez-vous, je ne vous veux pas de mal …

Lars contenait son énervement.

— Qui… qui êtes-vous ?

La jeune femme se détendit. Ses yeux fixaient Lars de façon intense. Elle manifestait de la peur pour lui. Sa carrure imposante, son visage sculpté par les années surmontées de ses cheveux hirsutes d’argent faisaient, effectivement, peur dans la pénombre. Elle ne lâcha pas son couteau. Aatos s’était figé à quelques mètres derrière. C’était la première fois qu’il voyait un autre être humain que son oncle.

— Je m’appelle Lars, chasseur de gemme du groupe des naturalistes. N’aie aucune crainte, je ne te veux pas de mal, assura-t-il, calme.

À ses paroles, la jeune femme se crispa à nouveau.

— Le groupe de chasseurs naturalistes n’existe plus depuis longtemps, qui êtes-vous !? insista-t-elle.

— Je vous l’ai dit, je suis du groupe des chasseurs naturalistes, mais voilà 86 années que j’attendais la venue de mon neveu dans le cratère, à l’est du volcan El Rugido. Nous nous rendons à Terminus. Connaissez-vous la famille Bonda ? demanda Lars, posé et calme.

À cette question, la jeune femme se détendit à nouveau.

— Comment la connaissez-vous ? questionna la jeune femme méfiante.

— Je l’ai rencontrée lors de mon périple pour le cratère il y a bien longtemps. Pierre-Joseph, son père, et sa femme, m’accueillit trois nuits. Tout le contraire de cette famille Weidmann soupira Lars, ajouta-t-il en souriant.

La jeune femme laissa s’échapper un petit rire.

— Ça ne m’étonne pas, je connais leur fils. Il est comme ses parents, pouffa-t-elle avec un regard de connivence.

Elle rangea son couteau dans sa cuissarde. Son pantalon vert sombre, sa chemise en flanelle beige clair et ses bottes montantes en cuir solide lui donnaient l’air de porter un uniforme. Mais c’était ses longs cheveux tirés en arrière et son regard juché sur ses saillantes pommettes qui retint l’attention de Aatos.

— Madame Bonda est sa mère. Elle est co-fondatrice de la nouvelle ville de Terminus. Elle se nomme Bonda-Laville suite à son mariage avec mon père.

Il a réussi à établir un lien de confiance.

— Que faites-vous aussi tard dans cette forêt ? demanda Lars

— Je viens m’entraîner la nuit en secret, dit la jeune fille évasive. Et vous, pourquoi n’avez-vous pas pris de douche depuis des jours ? Vous puez la mort !

Lars ne répondit pas à la remarque tout comme il ne creusa pas plus les motivations de son entrainement nocturne. Il changea de sujet :

— Voici mon neveu, Aatos et son compagnon.

Aatos salua, gêné. Pendant tout l’échange, il était resté planté à quelques mètres de là, fixant la jeune fille avec des yeux ronds. Wali, méfiant, se tenait derrière lui.

— Il … Il s’appelle Wali, c’est un blairant de la forêt du cratère, dit-il avec fierté en montrant le petit animal.

— Ha ha ha, un blairant comme compagnon. Et pourquoi pas un écureuil pendant que tu y es ?

La jeune fille se moqua de lui sans vergogne. Les mains sur les hanches, elle avait retrouvé de sa superbe. Elle ne donnait plus aucun signe de méfiance et s’était même rapprochée du trio. Wali grogna.

— Et comment t’appelles-tu, demanda Lars, coupant de façon volontaire les protestations attendues de son neveu pour la remarque faite au sujet de Wali.

— Je m’appelle Diane, fille unique des Bonda-Laville. Mon père est Maire de Terminus et député du comté de Campanie, dit-elle, fière, avec une pointe de suspens.

Elle donnait l’impression d’avoir l’habitude de décliner son identité. Lars n’était pas du tout impressionné, mais il répondit tout de même avec un sourire de déférence. Aatos fit de même, de façon machinale, pour imiter son oncle. Aatos ne s’attendait pas à rencontrer une fille ; et pas de cette façon. Lars avait parlé de sa sœur, mais c’était une femme. Et surtout ma mère… Là, c’est une vraie fille, elle est vraiment … Belle. Son attitude changea. Diane souriait en dominant Aatos. Elle a vu que je la regardais trop …

— Bon, Diane, nous sommes ravis de te rencontrer. Nous avons eu une longue journée et il est temps pour nous de prendre un peu de repos. Est-ce que tu restes à nos côtés ou tu continues ton entraînement ? demanda Lars.

Diane fronça les sourcils en souriant.

— Terminus est à 1h30. Nous dormirons ensuite dans la maison de mes parents, proposa-t-elle en montrant son autre cuissarde.

Trois mousquetons étaient accrochés à son ceinturon.

— Euh… Oui, pourquoi pas ? Mais est-ce que nous serons en mesure de te suivre ? Il y a au moins une journée de marche si ma mémoire est bonne.

— Ha ha ha ha, pas par les airs, vous verrez, c’est facile ! répondit-elle espiègle. Venez ! insista-t-elle, enthousiaste.

— Je suis curieux de voir de quoi tu parles … Nous rangeons ici et nous te rejoignons.

— Vous verrez, c’est très cool de se déplacer avec l’accrobranche. Je vais préparer le tout, rejoignez-moi au pied de l’arbre, ajouta-t-elle en montrant un camphrier qui dépassait le reste des cimes de la forêt.

Diane partit en courant, comme une flèche ; une lueur plongeant dans les ombres. Lars et Aatos rangèrent en silence leurs affaires. Soudain, l’oncle chuchota à l’oreille de son neveu.

— Ses parents sont des petits bourgeois de l’arrière-pays. Ils sont fiers, très fermés d’esprit et, parfois même, arrogants. J’ai le sentiment que cette fille a hérité de certains de leurs traits. En plus, je trouve bizarre qu’elle se trouve ici en pleine nuit. Alors même si elle te plaît, je veux que tu sois sur tes gardes, dit Lars.

— Mais… Elle ne me plaît pas du tout ! s’énerva Aatos.

Son oncle lui tapait sur les nerfs. Le garçon en a avait assez de devoir écouter ce vieil homme qui pensait tout savoir.

— Hé Hoooo ! Vous venez ? Une voix déchira le silence nocturne.

Diane appelait du haut du camphrier.

— Tu as tout pris ?

À son habitude, Lars contrôla que rien n’avait été laissé sur place, alors qu’il étouffait les restes des cendres cramoisies du foyer.

— Oui, oh … C’est bon ! répondit Aatos, exaspéré.

— Sur un autre ton, menaça l’oncle.

— Oui, j’ai juste dit c’est bon …

S’il pense pouvoir revenir comme ça et faire sa loi … L’oncle eut un vif regard d’autorité. Aatos se calma et suivit en silence avec Wali. Les trois comparses traversèrent la clairière. Diane déroula une échelle suspendue le long du tronc du camphrier. Malgré la fatigue, ils montèrent les échelons en bois. Arrivé au sommet, Aatos voyait au-dessus des cimes. Depuis ce point de vue, il devinait les lueurs des maisons de Terminus, perdues au fond de l’horizon. C’est Terminus, enfin je vais pouvoir rencontrer de nouvelles personnes …

— Voici pour toi et voilà pour toi, dit Diane en distribuant des harnais confectionnés avec des lanières synthétiques solides. Ce sont des tailles standards, mais en les serrant au maximum pour toi, Aatos et en les mettant au maximum, comme ceci, pour toi Lars, cela ne devrait pas être un problème, dit-elle en manipulant le matériel avec dextérité. Ton blairant viendra s’accrocher à ton épaule, conclut-elle.

Aatos voulut protester. Il s’appelle Wali ! Mais le petit animal lui fit signe discrètement en enlaçant sa carapace d’une façon de dire : ce n’est pas grave, laisse tomber.

— Le filin est confectionné par un forgeron à partir d’acier inoxydable importé des manufactures de la Cité. Il supporte jusqu’à quatre personnes en même temps. Rien à craindre, termina la jeune femme, rassurante.

Le ton et la posture de la jeune femme étaient devenus professionnels et posés. Elle inspirait confiance.

— Ensuite, vous attachez les deux poulies, l’une derrière l’autre, comme cela, dit-elle en installant Aatos. Ton sac, il faut plus le serrer, lui dit-elle en aparté tout en raccourcissant ses sangles. Enfin, il faut crocher les deux mousquetons à l’arrière afin d’assurer le tout, comme ceci, finit-elle ses explications.

— Et… euh, je fais quoi une fois arrivé au bout ? demanda Aatos, troublé.

— Tu tends les jambes avant de percuter le sol. Ensuite, tu décroches les poulies et les mousquetons du câble, répondit-elle en rigolant.

Elle le poussa dans le vide en guise de conclusion.

— Wooooooooooaaaaaaaa …

Aatos filait à toute vitesse au milieu de la nuit, entre les cimes des arbres. Maaaaaaais, je vais me tuuuuer, … Ses jambes rencontraient le bout des branches. Aïe … Aïe … Aïe… La poulie sifflait sur le filin en acier. Aatos s’accrochait aux sangles de son harnais alors que Wali passait sa carapace sur le dos de sa main droite en signe de réassurance. Ils arrivèrent au bout du câble. En arrivant sur la couche épaisse d’humus forestier, Aatos respira.

— C’était vraiment bien ! dit-il à Wali en rigolant.

Son oncle et Diane les rejoignirent. Puis ils continuèrent leur route, guider par Diane. Le procédé était toujours le même : ils remontaient à un arbre choisi pour sa grandeur ou son emplacement sur une hauteur, se harnachaient et se laissaient porter par les forces de la physique. Le transport en tyrolienne permettait de parcourir une distance à vol d’oiseaux, sans trop d’effort. Diane racontait même, durant l’un des interludes, que les meilleurs chasseurs pouvaient faire le tour entier de la grande forêt en deux jours grâce à ce système.

— Derrière cette butte, nous plongerons sur Terminus avec une seule tyrolienne, dit Diane sur un ton de conspiration. Il faudra être vigilant. Nous ne sommes pas censés utiliser le parcours des chasseurs de nuit, expliqua-t-elle.

Diane eut comme un élan de regret : ses lèvres pincées, elle semblait avoir perdu un instant le fil de soi. Elle doit se demander si elle a bien fait de nous emmener …  Les quatre comparses montèrent le long de la butte par un chemin engagé. Ils ne voyaient rien : une vigilance de tous les instants était requise. Ils évoluaient à pas feutrés. Diane qui guidait le groupe s’arrêta :

— Il y a un pin parasol, ici à trente mètres. Ce sera notre point de départ vers Terminus. Cette tyrolienne est la plus longue du parcours, il y a presque cinq minutes de descente. À la fin, vous survolerez une partie des habitations pour atterrir sur la plate-forme de l’église. À partir de là, nous devrons être rapides. Il faudra suivre mes instructions, d’accord ? demanda-t-elle.

Sans attendre la réponse, elle ajouta :

— J’irai en premier et toi, tu ne cries pas durant la descente, c’est fini de faire le fragile, en s’adressant à Aatos.

— Hé, mais, je ne suis pas fragile, protesta Aatos

— Ne discute pas, lança en semonce Lars.

Mais, en plus ils se liguent contre moi ? C’est vraiment un manque de respect, ils se prennent pour qui ? … Les quatre compagnons se situaient à présent sur la plate-forme du pin parasol. Les lumières de quelques chaumières de Terminus scintillaient. Diane termina de se harnacher et s’élança avec grâce.

— À toi Aatos !

Aatos crocha la poulie sur le filin. Il s’envola. Le vide sous ses pieds apparut après quelques dizaines de mètres. Glourp … Ses mains moites tenaient fermement la sangle. Il tourna la tête. Wali, toujours sur l’épaule de Aatos semblait apprécier la descente. Calme-toi Aatos, calme-toi … Si même Wali est calme, tu peux le faire … Il se concentra. Respira. Son pouls se calma alors que les premiers toits de Terminus étaient visibles. Le vent s’écrasait contre son visage. Il ferma les yeux.

 

 Aatos ? Aatos ? Ça va, que se passe-t-il ?

Aatos revint à lui. Le Léman était calme au petit matin. Quelques mouettes suivaient leur embarcation. Il rentrait au port lorsque Jean appelait son fils. Le pécheur stoppa le moteur et il s’avança vers la proue, où se trouvait Aatos. Il posa ses épaisses mains qui sentaient encore le lac sur les épaules de son enfant.

 Aatos ? Réponds-moi, tu vas bien ?

Aatos se retourna, des larmes dans les yeux amenés par le vent de la navigation.

 Tout va bien papa … Merci de m’avoir emmené, ce matin.

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